omertà | collection particulière

Depuis quand existe Omertà et comment le groupe a commencé/ s'est formé?.

FG : L'histoire commence dans la région des grands lacs et les premières répétitions en 2013, réunissant cinq musiciens dans l'idée d'écrire un album représentant le troisième acte de l'opéra sur lequel je travaillais. Le terme Opéra, mêlant autant de sculptures, d'installations, de performances que de concerts, rend compte d'un investissement rituel, il s'agit de l'aborder sous une forme très libre, influencée par le cutup et le fragment. Au départ tout se trouve dans une zone de flottaison, dans l'irréel, ce sont des bribes, des visions. Vient le cours de la transformation, le texte, les images, la musique, les voix, les objets, en train de se perdre, d'être raconté, à la recherche d'un langage. Mes sculptures se nourrissent des histoires et soufflent leurs enchaînements, elles inspirent la musique, n'ont pas de devenir fixe, l'essentiel étant de laisser chaque forme en mouvement. Par sa force instinctive, la musique a le pouvoir de fixer l'attention sur une perspective. J'ai rencontré Romain Hervault en 2005 aux Beaux Arts de Lyon, Jérémie Sauvage et Mathieu Tilly en 2007 aux Beaux-Arts 'd e Valence alors que je participais à un atelier avec Rhys Chatham. Peu de temps après Jérémie m'a invitée à interpréter un de ses Accordages avec d'autres musiciens. Le soir de nos diplômes, on a fait une grande fête dans un ancien tunnel de chemin de fer avec des concerts de groupes bien excités, on était cinquante et c'était d'une intensité folle. On peut dire que j'ai senti naître une famille à ce moment-là, on se retrouvait souvent pour des soirées et des concerts en RhôneAlpes où j'ai rencontré par la suite Pierre Bujeau, Romain de Ferron et Jonathan Grandcollot. Je me suis naturellement tournée vers eux, on écoutait les mêmes choses, c'était les personnes dont je me sentais le plus proche et en qui j'avais le plus confiance pour faire de la musique. Il y a un vrai lien entre nous tous, pas seulement la musique ou l'art, on vit de la même façon, on partage des idées essentielles. Omertà a toujours été beaucoup plus qu'un groupe pour moi, c'est une histoire d'amour à travers nos «plus belles années».

Pourquoi la nudité féminine est-elle au centre de votre esthétique graphique? Pouvez-vous nous raconter l'histoire de cette image mystérieuse sur Collection Particulière ?

FG : Omertà est un univers onirique, avec des humeurs et des sensations qui tournent, s'en vont et reviennent, comme des ritournelles. Un extrait du texte qui accompagnait la première représentation d'Omertà: Après un naufrage adolescent, les survivants du MSS se heurtent à une ne de beauté peuplée de mirages. Ayant fumé son poids en opium, l'équipage n'a plus rien de commun avec l'espèce humaine. Entre les disparitions, les légendes chronophages et les transformations animales, Tous contre tous attendent le rayon vert pour aller au bout du monde, mais le bout du monde est décoloré par le soleil. Omertà c'est vous qui le vivez, c'est moi. C'est vous violer dans des positions rares Le pouvoir est souvent calme, très calme. À l'époque où nous travaillions sur le premier disque, Jérémie nous avait fait découvrir l'album Certitude de Sophie Marceau (une perle de notre patrimoine), suggérant d'utiliser un portrait de moi pour la pochette. De mon point de vue ce n'était pas possible mais j'évoquais l'existence de photos d'un artiste peintre pour qui j'avais posé, à tout juste vingt ans. On avait fait une séance photos de nus en noir et blanc à l'Hasselblad où je tiens l'As de pique et l'As de coeur, Eros et Thanatos, l'image était cadrée sur mon buste, écartant mon visage, de format carré, déjà une pochette d'album en soi. Je n'ai jamais récupéré les tirages qui devaient me revenir, quand j'y repensais j'avais envie de revoir ces images, de les retrouver, avec cette sensation qu'on m'avait pris quelque chose de précieux et que l'auteur n'avait pas tenu sa parole. Je n'avais plus aucun contact mais luïécrivis via les réseaux sociaux avec l'idée d'enfin récupérer la photo et d'en faire une pochette. Il m'a répondu, un incendie venait de ravager son atelier, il avait perdu les tirages dans les flammes et son disque dur contenant les négatifs numérisés était endommagé. Pour autant, il avait promis de m'envoyer les images dès qu'il aurait récupéré ses données. Ça prenait un peu de temps et quand je suis revenue vers lui pour le relancer j'ai appris sa mort soudaine. L'image était perdue et je me suis mise à penser au visuel que nous connaissons, à savoir un montage fusionnel d'une photo de feuilles d'agaves bleues éclairées artificiellement (un assemblage de mon installation Omertà gave blue où s'est tenu le premier concert d'Omertà) et cette photo noir et blanc d'un buste nu féminin atteint d'une maladie de peau, prise par un artiste dermatographe à la fin du 19e, une illustration qui me hantait depuis longtemps. J'imagine que l'idée du nu avait fait son chemin lors de mes premières recherches. Puis, il y a deux ans environs j'ai vu passer un tableau issu de cette série de photos sur les réseaux sociaux, sa fille avait repris l'oeuvre de son père en main, principalement dans l'optique de clore ses comptes et geler ses oeuvres. Nous venions d'enregistrer le second album et les espoirs de faire une pochette d'après un de ces tableaux ont rejailli. Il s'agissait d'une version de la photo agrandie, marouflée sur toile où étaient peintes de fines couches de cire colorée laissant apparaître l'image par transparence à travers de subtil reflets de couleurs variant en fonction de la lumière. J'ai alors contacté sa fille lui exposant la situation, elle m'a envoyé une photo de son téléphone du seul tableau de cette série qui restait en sa possession, les autres ayant été vendus, celui là faisant dorénavant partie d'une « collection particulière » . La cire, elle aussi endommagée par l'incendie a fondu, cloqué, sous elle la photo refait surface ... c'est ce que l'on voit sur la pochette. À la suite d'une communication laborieuse, nous ne sommes pas parvenus à récupérer une meilleure qualité d'image. Il a fallu pas mal de travail et de patience pour lui donner l'air qu'elle a aujourd'hui.. merci beaucoup Corentin Perrichot, Samuel Antonin et Lionel Catelan !

Comment composez-vous les morceaux, d'où viennent les idées, qui les amène?

PB : Quand la musique est associée à la parole, on peut se demander laquelle est à l'origine de l'autre. Dans Omertà, certains textes écrits en amont ont influencé l'univers musical du projet, puis rapidement des mélodies sont proposées, sans référence directe aux textes. Les liens se tissent entre les deux corpus, des rapprochements semblent dès lors évidents. Musicalement, une majorité de morceaux est échafaudée sur des lignes de basse, des ritournelles qui s'étoffent au fur et à mesure des arrangements proposés par tous les membres du groupe. Nous sommes nombreux et pour atteindre une certaine clarté, les mélodies et les rythmes se répartissent entre tous les instruments, une igne de basse se creuse pour accueillir la note de l'autre, les synthétiseurs finissent la phrase de la guitare etc ... Afin de nous rappeler ces imbriquements fragiles, nous les inscrivons sur des partitions. Tout en sachant que les nôtres ressemblent plus à une ligne de vie spécifiant chaque intervention, détectables par des signes, des couleurs ou des motifs, parfois des symboles incompréhensibles le lendemain midi ... Un morceau est une construction mentale très compliquée.

FG: Les textes d'Omertà sont issus d'une intime collaboration entre Raphaël Defour et moi: Raphaël a été la première personne avec qui j'ai partagé ma vie, on a beaucoup échangé d'idées sur la musique et l'écriture, la poésie en parti: culier. Il était à l'époque comédien, metteur en scène, chanteur et écrivait tout le temps, dans des petits carnets, des chansons, des pensées, des mots d'amour qui m'étaient destinés. li laissait ses notes à vue et je prenais un subtil plaisir à les chercher, les lire, les raccorder entre elles dans l'idée de comprendre enfin l'être aime. Mais le mystère demeura entier et ce premier amour ma première désillusion amoureuse dont le spectre illumine toujours ma vie. Un projet d'édition contenant ses textes et mes images resta inachevé, ne parvenant pas à les oublier, ils sont devenus l'objet d'une première performance en 2010 Arcanum (wit/:1L ove) comprenant installations, musique et voix qui détermina la suite de ma pratique. Cette appropriation m'a permis d'accepter la douloureuse séparation, le manque, l'amour n'était pas mort et continuait à exister ailleurs et autrement. Sans n'avoir jamais perdu contact, on a commencé à correspondre à travers le filtre d'une écriture indirecte, à s'inventer des histoires, permettant de continuer à nous aimer, à échanger librement et légèrement à travers la chose la plus importante pour nous, la poésie. Dans cette vibration là, Raphaël Defour a écrit l'ensemble des textes du premier LP, autour d'histoires de mythes et de disparitions que nous nous racontions sur l'île que je lui ai fait découvrir, la Corse. A cet endroit précis, Omertà fonctionne comme une sorte de thérapie et les pochettes des deux disques l'illustrent inconsciemment, le corps comme l'agave porte des stigmates soignés par la lumière du soleil, malgré le temps le corps est toujours nu mais porte une protection, l'As de coeur et l'As de Pique, les cartes les plus fortes du jeu.

Quel lien avez vous avec la musique pop et la "chanson française"?

PB : Une grande partie d'entre nous n'a jamais joué ce type de musique, nous avons plutôt des accointances avec la musique instrumentale. Seul Romain de Ferron à vraiment cette expérience de musique pop, néanmoins nous en écoutons tous énormément, française ou étrangère. C'était donc une proposition assez intrigante de se frotter à cet exercice. Notre point de vue externe en temps que musicien nous a guidé vers une musique sans référence particulière, comme si nous en découvrions une nouvelle dans laquelle la dissonance, l'imprévu et la surprise avec lesquels nous sommes familiers peuvent côtoyer sans drame l'harmonie, l'évidence et la composition. Dans la pop, la langue choisie pour le chant est souvent l'anglais car c'est dur d'accepter une variation de la langue dans cette musique tellement modélisée. Faire résonner la poésie est plus aisé dans sa propre langue, mais il faut pour cela mettre de côté les modèles.

FG : J'ai grandi avec les deux et j'en ai toujours entendu/écouté, un lien affectif fort donc pour ma part et peut être ceux de ma génération. Aussi il y a quelque chose qui m'a toujours fasciné dans le format, la construction d'une chanson, c'est comment en trois minutes elle peut nous marquer à vie, nous transporter dans un état auquel vous n'auriez jamais songé auparavant, c'est un pouvoir immense ... Les textes d'Omertà sont profondément intimes et évoquent souvent des histoires, des sensations, des émotions vécues, ça n'aurait pas de. sens de les interpréter autrement que dans ma langue maternelle. Je ne suis ni chanteuse, ni comédienne, ce qui m'intéresse c'est de bâtir un pont, me laisser happer par la musique et poser un texte dessus par la voix, au même titre qu'un accord de guitare, en accueillant ce qui vient. L'idée est simple mais c'est très difficile, il faut accepter la fragilité, la mise à nue, la maladresse. Le rapport à la nudité, la voix et la fragilité me touchent énormément, cela fait de nous des individus rares et complexes, c'est par là qu'on s'approche au plus près d'une vérité qu'on sait inaccessible, mais dont on capte un reflet.

Comparé au disque précédent, sorti en 2017, qu'est-ce qui a changé?

FG: Lorsque nous avons recommencé •à travailler en 2018, nous avons repris d'anciennes compositions instrumentales avec d'autres textes de Raphaël un peu inclassables. Entre temps une amie artiste, Julia Kremer, avait écrit des poésies en vue d'un autre projet et une d'entre elles a été interprétée sur la chanson Kremer & Bergeret. Quand Raphaël a appris qu'Omertà se remettait à travailler sur un nouveau répertoire il m'a envoyé trois textes qu'il avait écrits à l'époque où nous vivions ensemble et un nouveau texte spécialement pour le disque (Au commencemen0. Collection Particulière est une sorte de collage de ces horizons qui ne forme pas une totalité organique mais une poétique fragmentaire. Le premier disque constituait un objet autonome, un monde en soi sur lequel nous ne pouvions pas revenir, nous avons juste laissé venir la suite sans savoir vraiment où ça allait, un désir de «variété» flottait, je pense que nous étions simplement en recherche et dans un certain plaisir à vivre la surprise, l'inattendu et l'imprévu. Le recours aux fragments permet de perturber les horizons d'attente.

PB : L'intention de jouer de la pop s'est avouéeet donc précisée dans Collection Particulière. Les techniques d'enregistrement et les sonorités recherchées ont permis d'atteindre cette précision, mais c'est le traitement de la voix qui est un vrai changement: enfin seule, forte, reposant sur l'ensemble musical qui la soutient. Jonathan nous a rejoint en 2018. Son jeu de batterie est fondamentalement différent de celui de Mathieu, qui lui, développe des variations dans un temps long et rejette les contraintes quand Jonathan s'exerce à un jeu métronomique, le forgeron et l'horloger. Sur le premier disque Mathieu joue des percussions de sa fabrication alors que sur le second album Jonathan s'est appliqué à jouer de la batterie de façon épurée. Le premier disque est de ce fait beaucoup plus organique que le second qui est plus ossaturé. •

Projets et rêves pour le futur?

FG : C'est étrange je ne crois plus du tout en ce mot «futur» il semble complètement vide de sens et çte vie, comme si on l'avait bafoué, violé et traîné dans la boue. J'ai l'impression qu'on s'est un peu foutu de nous avec cette histoire. Le futur, comme le passé et le présent, n'existent pas vraiment, que l'important est de taire ce qu'on a à faire avec qui on aime tant qu'on est là. Nous sommes six, ce n'est pas simple de se retrouver et avoir les mêmes envies, pour cela on ne s'est jamais vraiment projeté, cela permet de nous préserver et de ne pas perdre si ce n'est la pureté, une certaine vérité.

Seb Brunomertà