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société étrange | chance @ benzine (fr)

Amateurs de musiques aventureuse et non linéaires, cette sortie est faite pour vous. Il s’agit du nouvel album du trio Lyonnais Société étrange. Après Au revoir sorti en 2015, le groupe continue de s’inspirer des musiques expérimentales des années 70 et 80 pour composer des titres instrumentaux à partir de sonorités électroniques, de basse et batterie et de boîte à rythmes. Le résultat donne un disque difficile à ranger dans une case, qui doit autant au post-punk des années 80 qu’au post-rock de Chicago des années 90… Avec en plus une petite touche dub ici est là. (Les Disques Bongo Joe / L’Autre Distribution) – écouter

société étrange | chance @ lit zic (fr)

Avec un style qui rassemble tout un tas de vibes tel que l’expérimentale, le stoner, la lounge, sans oublier son côté jazz, Société Étrange est définitivement un coup de cœur. C’est tout un voyage musical. Ce groupe a une formidable capacité à instaurer une atmosphère relaxante qu’il s’amusera à délicieusement distordre pour nous offrir une véritable expérience sonore nous invitant à lâcher prise et à adopter leur tempo si bien mené. Pour vous donner une idée, leur album CHANCE est composé de 6 pistes :

1- La rue principale de Grandrif

2- Nute

3- New York New York

4- Sur la piste de danse

5- A l’intérieur au numéro

6- Futur

Leur son nous invite à un voyage introspectif, presque onirique. Avec leurs percussions rythmant à merveille des distorsions sonore épatantes, ce groupe nous transporte dans des recoins inattendus de notre imagination. Mais si vous savez bien, là où on peut trouver des artistes comme Salvador Dali, Lewis Caroll (Alice au pays des merveilles)… si on veut imager le sentiment que peut provoquer leur musique.

Opposés et complémentaires.

On retrouve des sons très opposés, pourtant complémentaires. Chaque instrument a sa place et dispose de plages d’expression qui finissent par s’entrelacer avec douceur. Leurs percussions offrent une lueur tribale sur la sonorité de certaines musiques.

Grâce à une introduction qui a du swing, on nous entraîne à la poursuite d’un lapin blanc. Ce dernier nous invite à tomber avec Alice dans son terrier sans fin menant au pays des merveilles. C’est un lieu étrange où la matière se tord au rythme de la musique.

Tandis qu’une guitare viendra fendre d’un grave et retentissant grondement le nuage musical des percussions, nous évoluerons vers une jungle de sons plus apaisés avec le titre NUTE. Nous nous retrouvons au milieu d’une course effrénée contre-la-montre, entre une basse et une batterie voulant guider le rythme, pour notre plus grand plaisir dans leur titre FUTUR qui clôt leur album.

Au casque.

Notre recommandation est simple : se munir d’un casque audio pour profiter au maximum de la réverbe car elle offre une subtilité et un corps particulièrement dense à l’ambiance générale, un régal. Ce genre de son peut être apprécié en solo en duo ou lors d’une soirée : un magnifique moyen d’éveiller les sens des invités. Et si en plus vous êtes amateurs de jeux de société ou de rôle c’est votre jour de chance car cet album saura, selon nous, offrir une atmosphère envoûtante.

Vous pouvez les retrouver sur leur bandcamp et sur facebook, leur album CHANCE paraîtra le 4 mars 2022, il est déjà disponible en précommande sur leur site.

société étrange | chance @ silence and sound (fr)

L’album de Société Étrange, résonne comme un instantané de notre époque, collapsant avec une partie de l’histoire de la musique.

Avec Chance, dub, krautrock, cold wave, post-punk, psychédélisme, étirent leurs vibrations sur des horizons brumeux où les réverbes tournent à en perdre le fil, laissant les rythmes dériver vers des sphères aux limites indistinctes.

Le trio compose une musique instrumentale aux loops entêtants, downtempo déviant à la lueur vacillante. Dans un minimalisme racé, Société Étrange joue avec les nuances, élargit sa palette avec discrétion mais assurance, plantant la rondeur de ses basses dans des tempos à la martialité presque mécanique, auréolé de sonorités électroniques à la fugacité poétique. Superbe.

société étrange | chance @ gonzaï

Une plaque de vomi bicolore recouvrant un lingot d’or ayant transité par l’Allemagne et les Tropiques. A regarder ce qui s’apparente à l’une des pochettes les plus laides de l’an 2022, c’est la première image qui vienne à propos de « Chance », deuxième album du groupe Société Étrange fraichement publié chez Bongo Joe et qui, en seulement 6 titres, redonne à la transe ses lettres de noblesse en lorgnant plus du côté de CAN que du côté des cracheurs de feu altermondialistes.

Que penser d’une société où les gens pédalent dans des gares pour recharger leurs smartphones ? Et d’une époque où une partie importante de la population refuse préfère mourir que de se faire piquer de peur de se faire inoculer la 5G ? Et que penser de ces esthètes de l’orthographe qui écrivent sans trembler « comme même » ? A toutes ces épineuses questions, le désormais trio de Société Étrange répond, si ce n’est avec du silence, du moins un mutisme éloquent. Des paroles, sur « Chance », il n’y en a pas. Du rythme, du groove blanc, des longues phases d’incantations parfaites pour la morning routine des instragrameurs accros au crack (ça doit bien exister), ça en revanche, c’est un peu le manifesto de ce deuxième album en dix ans d’existence pour un groupe occupé à prendre son temps dans les sous-sols de l’industrie du disque français.

On ne s’étendra pas en longueur sur le « pari esthétique » de la pochette de « Chance » ; le résultat étant peut-être destiné à saloper les bibliothèques Ikea des 1000 audiophiles fans d’anarchisme à la limite du terrorisme. La vérité est à l’intérieur, comme disait Mulder à Scully dans un épisode X de X-Files. La vérité, ce sont donc 6 pistes chamaniques qui rappelle que lorsqu’il est question d’installer des ambiances oscillant entre l’inquiétant et le jouissif, Société Étrange apparaît en première page de l’annuaire. « Allo, j’aimerais la bande-son imaginaire d’un téléfilm allemand qui se passerait dans les égouts avec John Carpenter dans le rôle du plombier ». Aucun problème, voici La Rue Principale de Grandrif. « Bonjour, j’ai besoin en urgence d’une musique d’attente téléphonique pour ma startup spécialisée dans le sacrifice humain ». Qu’à cela ne tienne, il y a New New York. On ne va pas faire toutes les pages comme ça, mais « Chance » est l’un de ces rares albums contemporains réussissant à passer entre les gouttes du médiocre et de l’inaudible pour proposer une update krautrock ambitieuse sur un mid-tempo constant, et sans jamais s’écarter de ce rythme lent-hypnotique où tout semble avancer à la même vitesse ; à la manière d’une ballade dominicale sur l’autoroute avec des zombies de chaque côté de la voiture.

Est-ce du Beak passé au ralenti, ou un hommage à Phantom Band, le projet proto funk dub du batteur Jaki Liebezeit publié en 1980 sur les cendres de CAN ? Un peu des deux, surement, voire pas du tout. Et « Chance » de rappeler qu’avant l’objectif commercial et réputationnel, un groupe dit underground se doit avant toute chose, à l’heure TikTok, de creuser la marge pour en faire sortir discrètement du sang, comme on expulserait du pus d’un bouton.

On ne s’avancera pas trop sur le groupe sanguin d’Antoine Bellini Romain Hervault et Jonathan Grandcollot – les trois larrons derrière ce disque sans faute – mais il coule assez de bizarrerie dans leurs veines pour qu’on ait envie de retourner le monde à l’envers, et que cette étrangeté-là devienne la norme. On s’amusera, au passage, que cet Ovni discal sorte chez les Suisses de Bongo Joe. Comme quoi, on peut venir d’un pays de banquiers adeptes de neutralité, et pourtant oser une radicalité si belle que la majorité des mauvais danseurs français n’y comprendra rien.

Société Étrange // Chance // Bongo Joe

https://societeetrange.bandcamp.com/

antoine viard | tumulus @ citizen jazz (fr)

Tumulus est un solo de saxophone. Un solo de saxophone amplifié. C’est aussi une architecture souterraine, structurée pour l’imperceptible, la mémoire et le devenir. Le son ancestral du saxophone est traité, trituré même, pour se mouvoir en un instrument électrique dont les timbres transportent dans un univers inexploré, inquiétant peut-être.

might brank | the masks @ l'imprimerie nocturne (fr)

Quelque peu obsédé par les musiques médiévales et polyphoniques, le musicien solo Might Brank (qui est en réalité le batteur Emmanuel Scarpa). De l’utilisation du canon (c’est à dire on reprend le même motif qui se superpose au premier, avec comme exemple ludique « Frère jacques ») à la répétition percussive, il se trame donc d’étranges « Manœuvres orchestrales dans le noir ». Une étrangeté à laquelle on s’habitue progressivement, comme le quasi monacal « La harpe ». Vous reprendrez bien une petite retraite sonore introspective ?

rifo | betel @ citizen jazz (fr)

Trublion du collectif Coax, entendu chez Electric Vocuhila, Parquet et plus récemment avec Julien Desprez sur le projet Abacaxi, le bassiste Jean-François Riffaud livre ici le fruit de ses réflexions musicales. Il voyage en solitaire, avec une guitare électrique et quelques effets personnels pour seule compagnie. Dès les premières notes, Rifo (puisque c’est son pseudo) nous embarque dans sa transe minimale et déglinguée. Le vertige nous surprend alors, casque aux oreilles, à l’écoute de cette subtile mécanique de la répétition. Rifo y sculpte d’infimes variations qui permettent à l’auditeur de suivre ses pérégrinations sans jamais perdre le fil du récit. Une belle réussite.

Betel est la 19è référence de la série Croix-Croix du label Carton Records dont on avait récemment apprécié le solo de Seb Brun Ar Ker.

reviewSeb Brunrifo, betel, france
emilie škrijelj & tom malmendier | tropism @ pointbreak (fr)

On les avait laissés avec Les Marquises, des Carottes dans les cheveux. Leur musique était pleine d’îlots rêveurs, de nervures inconsolables et de textures accortes. Emilie Škrijelj et Tom Malmendier prolongent le continuum, continuent de creuser le sillon et gravent un nouveau disque. Ça s’appelle Tropism et ça sort sur Carton Records.

Un carton, on leur souhaite avec le cœur. Tropisme, au compteur, le duo ne change pas le moteur. Et s’aguerrit un peu plus encore. Emilie Škrijelj n’a toujours pas rechaussé son accordéon, pas le propos ici. Malmendier reste au fûts et scratche un timing de cadre face à la turntable d’Emilie. L’interplay est toujours aussi parfait (pour les coulisses, consultez le numéro de Gala spécial musique improvisée). Parfait mais encore plus deep dans ses capacités d’inventions, de manier l’humour comme d’autres manient le bâton. Pour faire avancer les choses. Dans le bruit blanc comme dans les peintures de paysages, dans les assauts cartoon comme dans les déclarations trop rapides pour être tout à fait comprises. Laissant là votre oreille se paumer entre le beau et l’intime malicieux. Patoko Mata est de cette trempe. Les deux autres plages travaillant encore ailleurs, têtues sans être écervelées, toutes entières occupées à ciseler cette musique et ses abstractions concrètes, électroniques, frappées, évocatrices, radicales et furieusement imagées.

rifo | betel @ revue et corrigée (fr)

Dans notre numéro de juin paraît la chronique d'un des projets de Jean-François Riffaud en groupe, Abacaxi (en compagnie de Vincent Desprez) sur le label Carton records. Le guitariste propose sur le même label son projet solo Rifo. Un disque de guitare que l'on peut croire à plat, et pourtant énormément de sonorités à travers moultes pédales d'effets semblent si verticales. De la résonance, de l'extension d'un blues étriqué, qu'il va bien falloir maltraiter évidemment. De la boucle rêche, des cordes pincées et tirées au plus près du manche, vibrées à ne plus en pouvoir, asséchées jusqu'à plus soif, répétées et décalées. Les graves sont multicolores et extatiques. Le souffle de l'ampli est là, comme sur un enregistrement cassette du plus bel effet. Ça gratte sévère, ça croustille à souhait, ça joue comme ça vient, ça respire comme ça peut, il ne reste plus beaucoup d'espace et pourtant le minimal est de mise. SuffisamMent singulier, le jeu se paie la reverb dans un combat homme/machine mais étonnement jamais noise. Et finit en blues proche de John Fahey. Classe.

boris boublil : mù | the basement @ le grigri (fr)

Au Grigri, on aime les mélanges insolites, les assemblages hétéroclites, les petites folies composites, qui commencent par nous surprendre avant de devenir parfaitement logiques. C’est le cas de cet arrangement du poème « Sensation », classique parmi les classiques écrit par Arthur Rimbaud, qui vient réunir le guitariste et producteur britannique John Parish, le compositeur multi-instrumentiste Boris Boublil et le comédien Philippe Torreton. Un hommage somptueux, teinté d’une noirceur mélancolique et enfantine, qui se dévoile en exclusivité sur nos ondes en attendant la sortie de l’EP The Basement le 18 juin.

Il existe une flopée d’artistes qui se sont déjà attaqués à la réécriture des poèmes de Rimbaud. Mais face à un poète aussi musical, provocateur et insaisissable, il n’y a généralement pas 15.000 options : on réussit (Léo Ferré), on délire (John Zorn) ou on se vautre (Jean-Louis Aubert). Boris Boublil, lui, il fait sensation. Il prend le poème et il l’étire, il en extrait l’atmosphère et la déploie avec une simplicité désarmante. On dit souvent que les bonnes interprétations sont celles qui nous font oublier l’œuvre d’origine. Il y a quelque chose de cet ordre dans cette version de « Sensation » : Boublil semble redonner quelque chose qui manquait au poème, une texture ou une ambiance, qui nous fait relire le texte sous un nouveau jour, plus onirique, plus mystérieux, plus mélancolique peut-être.

Peut-être le confinement a-t-il fait sa part dans cette relecture de cet appel à aller batifoler dans les grands espaces. Après des mois à s’enraciner dans nos canapés, la perspective d’aller mouiller nos fesses dans la rosée, de retrouver cette « sensation » de la nature dont nous parle Rimbaud, nous semblait comme un lointain et sublime mirage. Ce confinement, il a aussi profondément changé la nature du projet d’origine. Conduit par le membre du Surnatural Orchestra, du Sacre du Tympan et de Blind Seats, le projet baptisé Mù devait être la réunion de 9 musiciens de classe internationale : Csaba Palotaï, Jesse Vernon, Morgane Carnet, Robin Fincker, Antoine Berjeaut, Sacha Toorop, Théo Girard et John Parish.

Boublil semble redonner quelque chose qui manquait au poème, une texture ou une ambiance, qui nous fait relire le texte sous un nouveau jour, plus onirique, plus mystérieux, plus mélancolique peut-être.

Finalement, l’album The Basement a été enregistré en solitaire par ce touche-à-tout poly-instrumentiste qu’est Boris Boublil. John Parish – producteur et musicien britannique, qui a joué notamment aux côtés de PJ Harvey ou Eels et avait déjà opéré avec Boublil sur une création autour des textes de Raymond Carver (Playing Carver) – est quant à lui venu ajouter sa guitare vaporeuse, et le comédien Philippe Torreton sa voix ténébreuse. Il en résulte un titre simple, sans grande prétention, mais qui contient tout ce qu’il doit être : une atmosphère légèrement garage-rock, doucement grinçante, subtilement vaporeuse, en résonnance avec l’ADN de ce bel EP.

The Basement sortira le 18 juin chez Carton Records et on nous dit dans l’oreillette que les retrouvailles tant attendues de Mù au grand complet auront lieu le 26 mars 2022 à la Carène de Brest.

gilles poizat | champignon flamme @ libération (fr)

«Champignon flamme», trip en trompette

Jacques Denis

Dans un album tout en modulations, le trompettiste Gilles Poizat entremêle souffle physique et synthé modulaire dans une recherche singulière d'interactions des sons.

Voilà un court disque, même pas vingt-cinq minutes en six titres qui, tout en synthétisant un long parcours dans le monde de la musique, en ouvrent délicatement de larges horizons. Gilles Poizat, la cinquantaine déjà passée, balade sa trompette depuis déjà plus de trente ans au gré de rencontres et de désirs, entre Lyon, sa cité natale, et Chicago, phare de tout expérimentateur, et entre Arles, où on le découvrit voici un quart de siècle, et Conakry, où il fut au début de l'aventure du prodigieux koriste Ba Cissoko. Et puis il y eut Mazalda, une aventure collective au début des années 2000 qui aura pour conséquence de le faire devenir musicien à plein régime. Le trompettiste abandonne alors son job à mi-temps de chercheur en écologie en Camargue pour s'adonner à l'exploration des sons. Il en résultera une écologie sonore qui trouve sa parfaite résolution dans ce Champignon Flamme, qui rappelle que l'économie de moyens est source aussi, souvent, d'innovations.

Laborantin. Rien de flamboyant ici, tout se joue en modulations de fréquences et heureux parasitages. Façonné au dé- part pour être le support d'une chorégraphie, cet objet aux formes aléatoires amplifie certains mouvements entraperçus dans son précédent album, Horse in the House, ces interludes sans un mot, juste mus par l'élan des vibrations. «Benjamin Coyle m'a proposé de faire la musique de la Séance, une pièce qui allait explorer les relations avec l'invisible, la mémoire, les morts. Il m'avait fait cette proposition après m'avoir vu chanter et il voulait qu'il y ait des chansons. Mais il m'a laissé proposer des ambiances électroniques, pour finalement recentrer sur des chansons jouées en direct avec une guitare.» Ce sont donc certaines de ses improvisations, non gardées, qu'il nous livre ici, dans un minimalisme empreint de tant de traces qu'il en occupe doucement tout l'espace. Le processus de création ayant duré plus de deux ans, Gilles Poizat aura tenté des pistes, creusé des sonorités, un travail de laborantin dont témoigne ce singulier solo. Le souffle de la trompette s'y mêle aux sons générés par un dispositif in- teractif du synthé modulaire qui se déploie au hasard, imprimant dans l'ADN du projet une forme de surprise immanente, et tout autant une suspension du temps. «Le travail avec le synthétiseur modulaire a aiguisé mon rapport au son.

Quand on joue d'un instrument qui demande un engagement physique, le son produit n'est pas le seul critère qui nous guide, il y a aussi les sensations corporelles, l'énergie qu'on y met.» Nomade. La musique y résonne comme en écho au livre Au bonheur des morts de Vinciane Despret : «La philosophe y parle de ce qui enchante le monde. Accueillir ce qui nous est inconnu, donner de l'attention, de l'amour et du soin à ce qui nous entoure et nous constitue génère de la vie joyeuse.» Mille détails habitent cette bande-son, d'étranges climats qui ne sont pas sans rappeler les délicats entrelacs d'un Jon Hassell, ou les méditatives escapades d'un Don Cherry lorsqu'il enfourchait sa trompette nomade. Il y a là pareil sens de la phrase, libérée de toute emphase, un étirement du son qui remet en perspectives l'idée de temps, un défilement sphérique dont les fragiles escarpements constituent d'aussi fragiles que sûrs défis aux lois de la verticalité harmonique. Gilles Poizat cite aussi le duo Kaumwald, qui improvise au synthé modulaire, et le sorcier Miles Davis quand il s'élança sur les pentes électriques.

louis laurain | pulses, pipes, patterns @ à découvrir absolument (fr)

L’idée même d’écouter un album entier autour de la trompette, me laissait dans le même enthousiasme que développerait un téléspectateur de C8 à qui on offrirait l’intégrale des films d’Eric Rohmer. Ce n’est pas que je déteste l’instrument, mais j’ai souvent du mal à me passionner pour les disques autour d’un instrument. Avec Louis Laurain, la notion d’autour prend là un sens nouveau. Si l’idée de souffler dans celui-ci est toujours là (c’est d’ailleurs l’utilité même de l’instrument, souffler dedans pour produire un son), pour cet album, Louis Laurain a préféré l’expérimentation avec un dispositif électro-acoustique développé depuis 2016. La trompette pourra être un instrument de percussion ou pourra être comme disséquée (Rhypnotic) laissant le rôle principal au mécanisme. Le vent semblera presque absent de ces cinq morceaux, ou sous forme d’un souffle numérique, passant de la vibration de l’air à celle moins direct via les méandres d’une moulinette l’électronique. Si le concept est intéressant, il pourra trouver ses limites entre autres sur « Satellites For Nawel » qui ne fera pas comme « Pulse, Pipes, Patterns » chanter les oiseaux, mais plutôt aboyer mon chien, pas vraiment ouvert (comme moi d’ailleurs) à la stridence presque insoutenable, fruit d’un dispositif comprenant deux trompettes, un micro et..... une feuille de cuivre. « Pulses, Pipes, Patterns » est une expérience sonore, nous faisant découvrir un instrument autrement. Alors si la trompette vous est familière, offrez-vous un regard neuf sur celle-ci avec cette étude particulière de l’objet.

rifo | betel @ à découvrir absolument (fr)

Cela commence comme si le bruit des pâles d’un hélicoptère illustrait un long plan séquence (Leaf) d’un de ces moyens de déplacement qui casserait une ligne d’horizon parfaite, faisant onduler sous l’effet de la chaleur l’image, donnant à nos yeux l’illusion que le sens se perd. Mais ce n’est pas la vue qui est chahutée par Jean-François Riffaud aka RIFO, c’est l’ouïe. Alors que ce sont les yeux qui imaginent normalement le contact d’une sculpture inviolable avec nos mains, que ce sont eux qui tentent de percer le secret des différentes couches de peinture d’un tableau, avec « Betel » les oreilles sont connectées à cette partie de notre cerveau qui imagine les structures dans une représentation en multi dimension. Car si le disque a trouvé sa genèse lors d’une rencontre d’un rite traditionnel des bouddhistes Birmans, il est surtout une traduction sonore d’un façonnage progressive. Face à une masse, RIFO ne donne pas de coup, ne martèle pas pour enlever des éclats et faire naître une œuvre. RIFO travaille l’espace et tourne autour, l’habillant avec une routine qui se trouverait contrariée progressivement, donnant à l’ensemble une dimension tout autant esthétique que cognitive, son propre équilibre étant en danger face à la sorte d’ivresse dans laquelle cette boucle douce nous plonge. Dans ses mains, la guitare électrique est à la fois l’ébauchoir et la tournette, faisant vibrer l’air avec la volonté la façonner. Il en fera de même avec du field recording, jouant avec un son (en l’occurrence des grognements carnassiers de chiens sur « teeth ») l’amenant d’un côté dense et monolithe en quelque chose d’évanescent, le son comme s’évaporant. Le disque de trente minutes se clôt sur « Smile », une résurgence du passé, comme une bande son apocryphe d’un film des années 30, clôture énigmatique presque divinatoire d’un disque qui en jouant avec nos sens nous élève au-dessus des lignes d’horizon et des croyances.

julien boudart | nome polycephale @ à découvrir absolument (fr)

Cet album n’est pas un album solo contrairement à ce que le nom pourrait le laisser penser. C’est bien un album de Julien Boudart mais en compagnie de Serge. Je précise Serge n’est pas une personne. Serge Modular pour son nom complet, est un synthétiseur que développa un certain Serge Tcherepnin en Californie dans les années 70. Avec ce compagnon quinquagénaire, Julien Boudart s’enivre et expérimente des territoires nouveaux et escarpés. Adepte d’un field recording aux aspérités multiples, aux sonorités hétéroclites, Julien Boudart parvient avec Serge à faire de cette matière quelque chose de qui doit autant de la transcendance qu’à une forme de communication entre des entités qui ne pouvaient se croiser. Il y a à la fois un échange entre les époques, mais aussi une forme de dialogue imaginaire entre des peuplades devant autant à la légende qu’aux envies d’une humanité possible en filigrane. Œuvre au premier abord exigeante, elle deviendra au fil des écoutes une expérience ludique, une symbiose entre un compositeur fureteur et une machine qui en étant en avance sur son temps sait construire des passerelles que Julien Bodart arpentera avec une gourmandise communicative.