sathönay | addio al passato @ des cendres à la cave (fr)
Le précédent Sathönay en version XXL (c’est-à-dire à plus d’un musicien) remonte à 2017 et au formidable Lost A Home. On retrouve sur Addio Al Passato tous les ingrédients qui m’avaient fortement accroché à l’époque. Le saz électrique (Nico Poisson évidemment), pièce maîtresse autour de laquelle tout s’articule mais aussi le violoncelle ouvert aux quatre vents (Léonore Grollemund) et la batterie élégante (François Virot) qui participent pour beaucoup à la beauté de l’ensemble. Franck Testud vient aujourd’hui compléter le groupe et sa basse s’intègre harmonieusement dans l’ossature, tapissant d’un velours robuste toutes les errances d’un disque plus que jamais fureteur.
Ça a toujours été le grand truc de Sathönay, ça. Le voyage. Dans sa version solo (Hello Sunny, le dernier en date, formidable lui aussi) ou à plusieurs, la musique s’en va toujours ailleurs, elle n’est pas folklorique ni ancrée dans un territoire déterminé, elle pose simplement ses pieds partout (ou nulle part) et dessine des enclaves souvent inédites du bout des orteils. Ça se balade en permanence, dans l’espace, dans le temps et ça se fout des étiquettes : on y décèle des effluves psyché en provenance des ’70s, de l’électricité plus actuelle mais aussi un souffle qui vient des Balkans – et encore, c’est réducteur, ça vient de partout – une transe soufie et tout un tas d’autres éléments glanés ici, là, avant, à ce moment-là. Ce faisant, Sathönay invente pas mal de choses nouvelles, fortement métissées et tout le temps prenantes.
C’est peu dire que le disque accapare. Parce qu’on a beau voyager en permanence sur le globe, on voyage aussi dans sa tête, à l’intérieur de soi. On entretient un lien vraiment ténu avec Addio Al Passato – enfin, c’est ce qui m’arrive avec cet album et par extension, avec ce groupe – qui se révèle, sur la durée, franchement hypnotique.
L’autre grand truc de Sathönay, c’est que tout ça se montre invariablement magnifique. Et ce ne sont pas que les mélodies, c’est le métissage entre les instruments, les intentions, c’est l’ensemble. Rien n’est doux mais rien n’est heurté non plus et c’est tout le temps habité. D’Une Ligne Droite pourtant bien brisée en ouverture jusqu’à High Flame en toute fin, Sathönay montre cette capacité à nous faire adhérer à tout ce qui sort de ses doigts.
Pourtant, rien de simple là-dedans. On pourrait même se sentir un peu intimidé devant les mélanges pratiqués par le groupe, faute d’en avoir tous les codes, mais pas de ça ici. La musique de Addio Al Passato est très personnelle mais s’adresse à tout le monde, elle n’est pas tournée vers les seul.e.s susceptibles de la comprendre puisqu’il s’agit avant tout de la ressentir. Il suffit pour cela d’accepter de se laisser porter par les morceaux, les suivre allègrement d’une transe habitée (Une Ligne Droite) à quelque chose de – relativement – plus classique (le côté presque indie de Find An Other Use For It ou High Flame), d’un psychédélisme vif (Le Tour Du Jardin) à un genre de folklore électrique (Long Long Walk, Extinction Of Extinction).
Il y a de multiples couleurs et odeurs – même celle du caoutchouc calciné – et énormément de richesse, de quoi en tout cas explorer longtemps. D’autant plus que l’ensemble a été excellemment capté dans une maison reculée du Vercors – « la batterie dans l’entrée histoire de condamner la sortie et la basse près du poêle à bois […] À l’étage, on avait le saz dans une chambre ouverte et le violoncelle dans une chambre fermée » – puis mixé par Domotic (Stéphane Laporte) après quelques retouches à Grrrnd Zero. Ça ne sonne jamais trafiqué mais au contraire, très vivant.
Je ne vais pas sortir un couplet facile sur l’intérêt d’une telle musique en ces temps de replis communautaires crispés mais quand même, le cœur y est ! Jouer un truc pareil, c’est foncièrement politique et ça fait la nique aux néo-fascistes de tout poil bien sûr infoutus de faire preuve d’une telle ouverture et donc de tolérer un tel disque.