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no tongues | ici @ muzzart (fr)

No Tongues, c’est Alan Regardin – trompette et objets, Ronan Courty – contrebasse et objets, Ronan Prual – contrebasse et Matthieu Prual – saxophones et clarinette basse. Leur registre, de mystères sonores en textures vocales éparses mais marquantes, hors-cadre, mérite attention et persévérance. ICI, c’est le cas de le dire, on se fait dessoucher par huit titres d’un jazz aventureux, libre et enveloppant, qui nous régale d’atmosphères à la limite de l’imaginable. Tantôt elles se noircissent (Makam fantôme), des voix fantomatiques s’en extirpent. C’est beau et un peu plus, ça fiche les foies et ma foi, le voyage se prend. Sans retour car avant cela et ensuite, No Tongues aura perpétué une approche nulle part ailleurs audible. Kulning le démontre, ses cuivres font les fous et déjà, l’emprise opère. Le décor est sombre, d’un élégant qui subjugue autant qu’il dérange. Les sens, sans délai, sont mis à contribution. Chien chien, aux chants cinglés/captivants signés LINDA OLAH, non-tenus en laisse, sèmerait presque l’effroi. Le froid aussi, délectable, qui émerge d’une trame à l’étirement sans fin, craquelé, trituré, entièrement passionnant. Ou fatiguant, si de cette caste tu n’es pas.

Alors, on poursuit sans toi. No Tongues signe un Parrandada de entroido de canizo aux vocaux de style -ceux d’Elsa Corre, pour être plus précis-, surlignant un déroulé mystique mais avant toute chose, ne se définissant pas. Si j’écris ces mots, c’est d’abord pour vous persuader de la nécessité de l’écoute, de l’immersion, d’habiter ce disque et de le laisser vous envahir. Notons qu’il sort sur trois labels résolument différents -le mot est d’ailleurs faible-, leur faisant honneur dans une audace pour le moins porteuse. Ses durées poussées, de plus, accroissent la portée d’ICI. LOUP UBERTO, sur Fronni d’Alia, type le rendu. Ailleurs, sur les Kulning et Makam Fantôme cités plus haut, c’est ISABEL SORLING qui s’en sera chargée. Avec autant de prestance, ça va sans dire. On entend, dans les chants, douleur et ferveur. Et bien plus encore. L’expressivité est confondante, l’inventivité sans précédent connu. Coeur de la Montagne, en secousses et grondements, crée à son tour un climat malsain, des vignettes sonores -et soniques- qu’il est bien difficile de rejeter. On ne s’y essaye d’ailleurs pas. Les musiciens, explorateurs invétérés, sont allés dégoter dans le quotidien, des sons pourtant extra-ordinaires quand on leur prête l’oreille.

Il faut suivre certes, mais je t’en prie, ne décroche pas. Si en phase tu restes alors Onze heure trente et une, dans une sorte d’électro de la lune, un peu tribale, te retiendra captif. Il obsède, de ses nappes à l’effet psyché à la dégaine de rengaine réitérée qui d’un seul coup s’interrompt. Imparable. Ce n’est pas fini, Finis Terrae déraisonne une dernière fois. Céleste mais bien entendu déviant, doté de voix songeuses et cinématographiques, il offre une ultime virée dans l’ailleurs, dans une recherche qui pour livrer toute sa sève vous contraindra à de multiples passages. C’est personnellement mon troisième, à l’heure où je boucle cet écrit, et certainement pas le dernier. L’assimilation, en effet, incite fortement à poursuivre l’expérience qu’initie No Tongues, le temps d’une galette bien plus recherchée que nombre d’autres sorties actuelles et passées mais aussi à venir.

reviewSeb Brunno tongues, ici
sathönay | addio al passato @ muzzart (fr)

Lyonnais, « propriété » de Nico Poisson qui gère aussi S.K Records (entre autres), Sathönay saze à souhait, développe de longues pièces hypnotico-fougeuses et sort avec ce Addio al passato son troisième album, après avoir connu différentes configurations. A quatre désormais (ah tiens, François Virot est de la partie! Good news!), les Rhodaniens ont capté ce disque dans l’isolement Vercorisé, allant jusqu’à nous concocter six morceaux étirés où le violoncelle de Léonore Grollemund, lui aussi, concourt à le décaler. C’est alors parti, Une Ligne Droite est justement sinueux malgré ce que son intitulé tend à faire croire. Il voyage, gronde, dépayse, se tribalise. Son chant flotte, incante. Son rythme, idem. L’imaginaire est stimulé, on pressent au bout d’une longue montée, la fissure. Mais non. Le discours s’écorche toutefois, on reste sur le fil du ravin et si la chanson prend vie, ou plutôt s’enfougue, c’est dans une forme de retenue. Intense, et bouillonnante. Electrique, il se tord et sert des sons qui couinent, magiquement. Dès le début Sathönay, dans l’identité, se place au devant. Long Long Walks est griffu, appuyé, tout aussi plaisant -et le mot est faible- que la composition d’ouverture. Le quatuor grince, sent le Turc quand le saz domine mais demeure avant toute chose Sathönay. Lyonnais, mais un peu d’ailleurs aussi.

Plus loin Find Another Use For It, dans un bricolage de début à la Tom Waits, dégage une belle pureté. Une force d’évocation, aussi, conséquente. Moins mordant, Sathönay présente là une autre facette de son riche répertoire. Le morceau, en sa moitié, s’emballe rythmiquement. Nous aussi, enfin en termes d’adhésion. Le Tour Du Jardin, de ses jolies notes, souligne tout à la fois l’éclat du rendu et l’apport du saz. Mélodique, singulier dans le mot, il n’a que faire de nos réticences. Difficile à décrire, difficile à écrire donc, le projet se saisit d’abord par une écoute poussée. Là encore, le titre breake et ensuite, impulse une autre direction sans porter atteinte à la valeur du résultat. Un tantinet psyché, dans la répétition de ses motifs. Et finalement, embarqué dans une belle embardée. Zébrée, lézardée.

On aime « grave », nul ne peut le contester. Extinction Of Extinction se charge alors d’entériner notre approbation, à grand renfort de parties de saz. Et pas seulement car de bout en bout c’est l’unisson de Sathönay, décisif, qu’il importe de noter. Au terme de l’opus High Flame, subtil, valsant, reproduit pour une dernière fois la magie enflammée, la capacité à évader l’auditoire via des sentiers Sathönay -parfois satinés- sans égal directement nommable. Lesquels, en dépit de leur durée fréquemment poussée, maintiennent une attention optimisée par leurs contours inédits.

sathönay | addio al passato @ les oreilles curieuses (fr)

En l’espace de deux albums, Sathönay trace sa route sereinement. La formation underground menée par Nico Poisson a réussi à s’imposer avec un Hello Sunny mémorable qui est paru l’an dernier. Et il est hors de question pour eux de se reposer sur leurs lauriers car voici venir leur troisième album intitulé Addio Al Passato.

Sathönay a également vu sa line-up quelque peu changer car il compte dans leurs rangs François Virot que vous connaissez très bien. Maintenant devenu un quatuor, le groupe continue de transporter au lointain dès le départ avec «Une ligne droite » où ils réussissent à établir un lien entre rock psychédélique, influences anatoliennes et krautrock hypnotique tout comme sur les ensorcelants « Long Long Walks » et « Find Another Use For It ».

S’inspirant aussi bien de King Gizzard & The Lizard Wizard qu’Altin Gün, le groupe lyonnais nous offre un trio acide aussi bien enivrant qu’inquiétant. Addio Al Passato pousse le vice encore plus loin avec les ritournelles psychédéliques entêtantes que sont « Le tour du jardin » et « High Flame » en guise de clôture endiablée. Sathönay marque au fer rouge leur identité sonore insaisissable et ô combien marquant.

sathönay | addio al passato @ des cendres à la cave (fr)

Le précédent Sathönay en version XXL (c’est-à-dire à plus d’un musicien) remonte à 2017 et au formidable Lost A Home. On retrouve sur Addio Al Passato tous les ingrédients qui m’avaient fortement accroché à l’époque. Le saz électrique (Nico Poisson évidemment), pièce maîtresse autour de laquelle tout s’articule mais aussi le violoncelle ouvert aux quatre vents (Léonore Grollemund) et la batterie élégante (François Virot) qui participent pour beaucoup à la beauté de l’ensemble. Franck Testud vient aujourd’hui compléter le groupe et sa basse s’intègre harmonieusement dans l’ossature, tapissant d’un velours robuste toutes les errances d’un disque plus que jamais fureteur.

Ça a toujours été le grand truc de Sathönay, ça. Le voyage. Dans sa version solo (Hello Sunny, le dernier en date, formidable lui aussi) ou à plusieurs, la musique s’en va toujours ailleurs, elle n’est pas folklorique ni ancrée dans un territoire déterminé, elle pose simplement ses pieds partout (ou nulle part) et dessine des enclaves souvent inédites du bout des orteils. Ça se balade en permanence, dans l’espace, dans le temps et ça se fout des étiquettes : on y décèle des effluves psyché en provenance des ’70s, de l’électricité plus actuelle mais aussi un souffle qui vient des Balkans – et encore, c’est réducteur, ça vient de partout – une transe soufie et tout un tas d’autres éléments glanés ici, là, avant, à ce moment-là. Ce faisant, Sathönay invente pas mal de choses nouvelles, fortement métissées et tout le temps prenantes.

C’est peu dire que le disque accapare. Parce qu’on a beau voyager en permanence sur le globe, on voyage aussi dans sa tête, à l’intérieur de soi. On entretient un lien vraiment ténu avec Addio Al Passato – enfin, c’est ce qui m’arrive avec cet album et par extension, avec ce groupe – qui se révèle, sur la durée, franchement hypnotique.

L’autre grand truc de Sathönay, c’est que tout ça se montre invariablement magnifique. Et ce ne sont pas que les mélodies, c’est le métissage entre les instruments, les intentions, c’est l’ensemble. Rien n’est doux mais rien n’est heurté non plus et c’est tout le temps habité. D’Une Ligne Droite pourtant bien brisée en ouverture jusqu’à High Flame en toute fin, Sathönay montre cette capacité à nous faire adhérer à tout ce qui sort de ses doigts.

Pourtant, rien de simple là-dedans. On pourrait même se sentir un peu intimidé devant les mélanges pratiqués par le groupe, faute d’en avoir tous les codes, mais pas de ça ici. La musique de Addio Al Passato est très personnelle mais s’adresse à tout le monde, elle n’est pas tournée vers les seul.e.s susceptibles de la comprendre puisqu’il s’agit avant tout de la ressentir. Il suffit pour cela d’accepter de se laisser porter par les morceaux, les suivre allègrement d’une transe habitée (Une Ligne Droite) à quelque chose de – relativement – plus classique (le côté presque indie de Find An Other Use For It ou High Flame), d’un psychédélisme vif (Le Tour Du Jardin) à un genre de folklore électrique (Long Long Walk, Extinction Of Extinction).

Il y a de multiples couleurs et odeurs – même celle du caoutchouc calciné – et énormément de richesse, de quoi en tout cas explorer longtemps. D’autant plus que l’ensemble a été excellemment capté dans une maison reculée du Vercors – « la batterie dans l’entrée histoire de condamner la sortie et la basse près du poêle à bois […] À l’étage, on avait le saz dans une chambre ouverte et le violoncelle dans une chambre fermée » – puis mixé par Domotic (Stéphane Laporte) après quelques retouches à Grrrnd Zero. Ça ne sonne jamais trafiqué mais au contraire, très vivant.

Je ne vais pas sortir un couplet facile sur l’intérêt d’une telle musique en ces temps de replis communautaires crispés mais quand même, le cœur y est ! Jouer un truc pareil, c’est foncièrement politique et ça fait la nique aux néo-fascistes de tout poil bien sûr infoutus de faire preuve d’une telle ouverture et donc de tolérer un tel disque.

société étrange @ bandcamp daily

Earlier this year, a mysterious record appeared seemingly from out of nowhere, with music that could well have come from the post-punk scene of the early ‘80s, and enigmatic cover art to match. The album was credited to Société Étrange (Strange Society), and its songs landed somewhere between the dubby punk of This Heat, the kosmische of Cluster, and the kind of early ‘80s oddity that would be re-issued by the label Minimal Wave.

In fact, Chance was the second release by a new French group whose brilliant debut Au Revoir, had gone pretty much unnoticed outside of the Lyon scene from whence it emerged. Société Étrange (originally La Société Étrange) began in a Lyon squat located on the tree-lined Passage Gonin on the banks of the Rives de Saône in the north of the city. It was there that Antoine Bellini—who handles the electronic elements of Société—and his old friend Romain Hervault, who handles the bass, lived in a communal household of artists and musicians. “We found this great place and built our studios and art space there,” says Bellini. “There was a big group of people living there. We had a room that was about 100-meters square where we would have performances and exhibitions.”

Rehearsing and performing within this community provided the perfect environment for a group like Société Étrange to take shape. “I’ve always seen myself more as an artist than a musician,” says Bellini. “And it’s very important for us as inspiration for our daily lives to be amongst all these different art forms.”

Also living in the house was a conceptual artist named Lou Masduraud with whom Bellini began collaborating on sound installations and experimental performances. It was thanks to another artist friend that Bellini and Hervault found the name for their band. “‘Société Étrange’ came from an art project by a friend who was building this huge structure, like a big boat, that people could live in, like some kind of utopian community,” says Bellini. “We were very close to this friend, so we asked him if we could use that name and continue his idea of utopia through our music.”

Au Revoir was released as a 10” in 2015 by S.K. Records. The small indie label was set up in 1998 as a platform for Lyon’s DIY community and featured releases that ranged from the avant-garde hip-hop of Rature to the electronic prog rock of Deux Boules Vanille. “When we started, we had no intention of releasing anything,” says Bellini. “We just enjoyed our playing together. But then our friend Nico at S.K. said, ‘You should release a record.’”

The duo’s debut was indebted to the funkier side of industrial music, as well as the trancier end of the German kosmische scene. “We listen to so many different types of music, and all that filters in,” says Bellini “everything from Throbbing Gristle to early Plastikman,” says Bellini.

Another resident of the Passage Gonin house was a musician named Jonathan Grandcollot, a member of the avant-garde band Pan Pan Pan, who rehearsed at the squat. Grandcollot would eventually become an integral member of Société Étrange, his drumming steering the group into a more rhythmic direction.

After a few years spent playing live and developing their new sound, the trio released Chance earlier this year on Bongo Joe in collaboration with Standard in-Fi. Here, Société Étrange’s post-punk tendencies collide with ‘90s post-rock (think early Tortoise), going deeper into the dub that gives their music space and texture. (“I love using a lot of echo pedals in the studio,” says Bellini.) Check the opener “La Rue Principale de Grandrif” where Hervault’s woozy bass and Grandcollot’s agitated drums swirl around in a sea of reverb and effects.

As they begin work on material for their next album, Bellini reflects on the creative process that keeps their music moving forward. “We usually start out with a rough plan of what we want to make, then sketch it out a little bit in rehearsal before we start to play it directly live,” he says. “And so a lot of the tracks are actually composed live, so it’s quite improvised. Sometimes it works for the best and sometimes for the worst. But it always means things evolve.”

no tongues | ici @ rumore (it)

Un video straniante ma fortemente evocativo accompagna il brano dei francesi No Tongues, Parrandada De Entroido De Canizo. Lo guardiamo in anteprima

Parrandada De Entroido De Canizo è il secondo singolo tratto da ICI, il nuovo album del collettivo francese No Tongues in uscita il 25 novembre su Ormo, Pagans e Carton Records. Il video musicale è stato diretto e montato dal regista francese Charlie Mars. Il disco lo potete preordinare qui.

La band ci racconta qualcosa del video fortemente straniante:

Con questo video musicale, abbiamo deciso di continuare la nostra collaborazione con Charlie Mars, un talentuoso regista francese che ha creato diversi video incredibili sin dal nostro primo album. Ha una visione creativa unica, piena di improvvisazione durante le riprese e molto ritmata per il montaggio. Abbiamo cercato in questo cortometraggio di dipingere una forza popolare misteriosa, potente e commovente. Abbiamo chiamato gli amici per stare in questa folla, abbiamo girato in uno dei nostri giardini… E Charlie ha dato alla luce queste persone guerriere! Ci piace!

No mancano nemmeno le parole del regista:

I nostri personaggi sono fantasmi o esseri viventi? I fantasmi vivono finché non li dimentichiamo? Siamo noi i fantasmi? Non ne ho idea. Volevo dar vita a una sostanza immateriale, materia mistica eppure tangibile. Fare domande invece di rispondere.

reviewSeb Brunno tongues, ici
no tongues | ici @ soul kitchen (fr)

arade inquiétante à la Midsommar ou joyeuse nuit des morts vivants ? Le chant entêtant d'Elsa Corre avec No Tongues est une transe qui aiguise notre sixième sens.

Si vous ne connaissez pas No Tongues, vous risquez d’être surpris et bousculé par ce quartette singulier qui sort chez Carton son nouvel album, Ici. Car c’est de l’ailleurs pourtant dont il est question avec No Tongues et ce charivari musical Parrandada de entroido de canizo filmé par le cinéaste Charlie Mars. Celui-ci précise, « est-ce que nos personnages sont des fantômes ou des êtres vivants ? Est ce que les fantômes vivent jusqu’à ce qu’on les oublie ? Est-ce que nous sommes les fantômes ? Je n’en ai aucune idée. Ici j’ai voulu donner vie à une substance immatérielle, de la matière mystique et néanmoins tangible. Poser des questions plutôt que d’y répondre. » Parrandada de entroido de canizo est une symphonie bruitiste, un sabbat ensorcelant et captivant où les vents inquiétants nous emportent tout en faisant lien.

Ici de No Tongues sera disponible chez Carton Records, Ormo, label historique du groupe et Pagans le 25 novembre.

reviewSeb Brunno tongues, ici
no tongues | ici @ luminous dash (be)

We ontdekten deze week ook iets donker nieuws… Sinds 2015 creëert het Franse alternatieve collectief No Tongues experimentele geluidssets, met een sound die van ver buiten echte instrumenten lijken te komen. We kunnen ze bij lange niet van songwriting verdenken. En dat maakt hen net zo intrigerend.

Elke muzikant in de groep verzamelt de geluiden die hij leuk vindt en opent zijn oren vrij, in alle richtingen. Ze nodigden vrienden uit, zoals Linda Oláh, Isabel Sörling, Elsa Corre en Loup Uberto om mee songs aan te leveren.

Voor dit nieuwe album maakten ze gebruik van geluiden uit het HIER en NU: het geluid van de motregen op het dakraam, een lentevuur in La Caillère, het klokkenspel van Bono’s astuin, de pieptoon van de Paw Patrol-telefoon, een jogger, een tap, Patricks bijen, de oven voor de pizza, een tgv, kinderstemmen, een bandschuurmachine, de polyritmische druppels van een druipende trui…

Makam Fantôme is de eerste single uit hun aankomende album Ici. Met heel gewone geluiden, laten ze deze erg ongewone track horen. Soms erg duidelijk van waar de opnames komen (bv. uit een kindermond), even later volledig ondefinieerbaar donkere krochten. Het niet weten wat er de volgende seconde aan geluid op je zal afkomen, maakt dit een opwindende luisterbeurt.

Ici verschijnt in november via de labels Ormo, Carton Records en Pagans.

reviewSeb Brunno tongues, ici
no tongues | ici @ cvlt nation (us)

What do you hear when you listen to French collective NO TONGUES? I hear gorgeous sonic landscapes formed by the instruments around us. Somehow this group takes rain, bees, tools, appliances, decor, and human movement and shows me that the lines between music and sound are arbitrary. Today we’re sharing their video for “Parrandada De Entroido Do Canizo” featuring vocals from Elsa Corre, directed by Charlie Mars. This track is so captivating I just want to take some edibles and lay on my couch listening to the vinyl from start to finish. The juxtaposition between the natural instrumentation and the electronic glitches on this is magnificent and would definitely send my high brain spiraling off into some other plane of existence. “Parrandada De Entroido Do Canizo” is off their upcoming album ICI that’s out on November 25 via Ormo Records, Pagans Records, and Carton Records.

With this music video, we decided to continue our partnership with Charlie Mars, a talented French filmmaker who has created several amazing videos since our very first album. He has a unique creative vision, full of improvisation while shooting and very rhythmic for editing. We tried in this short film to paint a mysterious, powerful, moving popular force. We called friends to be in this crowd, shot in one of our gardens… And Charlie gave birth to these warrior people! We love it!

reviewSeb Brunno tongues, ici
no tongues | ici @ médiapart (fr)

No Tongues, ICI c'est partout de tout temps

Dès Chien chien, le second index de l'album Ici du groupe No Tongues, je me suis dit que Jean-Jacques Annaud devrait remixer sa Guerre du feu avec leurs rituels intemporels. En 1981 le réalisateur avait désiré être le plus "préhistorique" possible, mais il avait eu l'idée saugrenue de le faire accompagner du début à la fin par la musique de Philippe Sarde interprétée par le London Symphonic Orchestra au grand complet, probablement pensant lui donner un souffle épique. Ce n'était pas la seule idée absurde du film, mais ça valait son pesant de mammouth.

Si les sources de No Tongues sont de toutes les époques, y compris la nôtre, l'aspect rituel est prépondérant. Leurs mélanges inventifs d'instruments et de field recordings sont très variés, "et puis, il y a les voix !" comme me susurrait à l'oreille Jean-Pierre Léaud, complètement perché un soir que nous rentrions de la Coupole où Jean-André nous avait invités. Les Suédoises Linda Oláh et Isabel Sörling, la Bretonne Elsa Corre et l'Italien Loup Uberto sont donc venu/e/s renforcer ici et là la puissance des évocations où l'ethnomusicologie est conjuguée au présent.

Sur la pochette ils annoncent le son de la bruine sur le velux, un feu de printemps à la Caillère, les carillons du jardin cinéraire du Bono, le bibip du téléphone paw patrol, un jogger, un robinet, les abeilles de Patrick, le four avant la pizza, un TGV, des voix d'enfants, une ponceuse à bande, les gouttes polyrythmiques d'un pull qui s'égoutte, etc. Mais Alan Regardin est à la trompette, Ronan Courty et Ronan Prual aux contrabasses, Matthieu Prual au sax et à la clarinette basse. Un orchestre soudé qui fait corps. "Et puis il y a les voix", celles qu'on entend et celles que l'on devine...

→ No Tongues, Ici, labels Omo/Pagans/Carton Records, CD 12€ / LP 20€ / Téléchargement 5€, sortie le 4 novembre 2022

reviewSeb Brunno tongues, ici
sathönay | addio al passato @ limonadier (fr)

Notre claque du jour est le prochain album de Sathönay, groupe multiforme né dans les steppes de l’underground lyonnais qui, avec Addio Al Passato, déploie un rock psyché aussi brut qu’il emmène loin, entre imaginaire folklorique et transcendance électrique. On est très heureux.se de vous le faire écouter un peu avant sa sortie officielle, ce vendredi 28 octobre sur Carton records.

  • Pour ceux qui aiment : La musique locale mais qui voyage, divague sans trébucher, répétitive mais qui progresse, à l’horizontale.

  • À écouter pendant : Un concert. De Sathönay idéalement. Ou chez vous. En imaginant ce que ça pourrait donner. Dans un concert. De Sathönay évidemment.

Au cœur d’une époque chaotique où de plus en plus semblent se nicher dans toutes sortes de communautés, souvent nécessaires, parfois crispées, c’est la musique qui paradoxalement montre la direction contraire, exhibant un besoin de tout fusionner - sans complexes, ni arrières-pensées - qui nous semble aujourd'hui la plus intéressante, et même, la plus trippante.

La formule que continue de travailler Sathönay sur ce 3ème album en est un exemple aussi naturel que frappant. Soit faire communier les visions désertiques générées par un Saz électrique (instrument d’origine persane, de la famille des luths à long manche) avec un violoncelle tout aussi folklorique et enivrant, soutenus par une base batterie basse solide sur ses appuis, groovy dans ses acquis, pour produire un rock aussi progressif que libre. Entre transe douce, krautrock aéré, chant en français et anglais, le tout parfumé par des airs mélodico - géographico - décentrés.

On a beaucoup aimé se perdre dans ces paysages sonores, pourtant le projet est parfaitement situé : la capitale des Gaules (jusqu'en 297 en tout cas). Du nom du groupe, référence à une place lyonnaise appréciée des noctambules, à l’initiateur du projet, Nico Poisson et son long parcours de vie dans les sphères locales des musiques vives et sans-le-sou (créateur du feu label indé SK records, musicien dans de nombreux groupes multi-genrés, membre des fondateurs du lieu Grrnd Zero…).

La formation actuelle voit d'ailleurs un autre lyonnais connus des services de la pop indé "underground" (rajouter ici plein de guillemets) très réussie, François Virot, ici à la batterie (et dont la voix nous manque beaucoup !), mais aussi Léonore Grollemund au violoncelle et Franck Testut à la basse. Notons la présence de Stéphane Laporte au mix, qui n'est pas Lyonnais mais dont on adore la musique également (on est pas sectaires, ni de Lyon d'ailleurs).

Franck Testut, Nico Poisson, Léonore Grollemund et François Virot

Bref, belle équipe pour un album qui, vous l’avez compris, nous a emporté et surtout donné furieusement envie de voir le groupe en live. En attendant, Adio El Passato s'écoute très fort et en exclusivité, tout de suite :

Addio al passato by Sathönay

Sathönay night fever ? Oui, désolé, pour le jeu de mot et le tapage nocturne, mais oui.

no tongues | ici @ drame (fr)

Dès Chien chien, le second index de l'album Ici du groupe No Tongues, je me suis dit que Jean-Jacques Annaud devrait remixer sa Guerre du feu avec leurs rituels intemporels. En 1981 le réalisateur avait désiré être le plus "préhistorique" possible, mais il avait eu l'idée saugrenue de le faire accompagner du début à la fin par la musique de Philippe Sarde interprétée par le London Symphonic Orchestra au grand complet, probablement pensant lui donner un souffle épique. Ce n'était pas la seule idée absurde du film, mais ça valait son pesant de mammouth.

Si les sources de No Tongues sont de toutes les époques, y compris la nôtre, l'aspect rituel est prépondérant. Leurs mélanges inventifs d'instruments et de field recordings sont très variés, "et puis, il y a les voix !" comme me susurrait à l'oreille Jean-Pierre Léaud, complètement perché un soir que nous rentrions de la Coupole où Jean-André nous avait invités. Les Suédoises Linda Oláh et Isabel Sörling, la Bretonne Elsa Corre et l'Italien Loup Uberto sont donc venu/e/s renforcer ici et là la puissance des évocations où l'ethnomusicologie est conjuguée au présent.

Sur la pochette ils annoncent le son de la bruine sur le velux, un feu de printemps à la Caillère, les carillons du jardin cinéraire du Bono, le bibip du téléphone paw patrol, un jogger, un robinet, les abeilles de Patrick, le four avant la pizza, un TGV, des voix d'enfants, une ponceuse à bande, les gouttes polyrythmiques d'un pull qui s'égoutte, etc. Mais Alan Regardin est à la trompette, Ronan Courty et Ronan Prual aux contrabasses, Matthieu Prual au sax et à la clarinette basse. Un orchestre soudé qui fait corps. "Et puis il y a les voix", celles qu'on entend et celles que l'on devine...

reviewSeb Brunno tongues, ici
no tongues | ici @ jazz news (by)

"Makam Fantôme" is the first single taken from "ICI" the new outstanding album by French collective No Tongues to be released November 25 via Ormo, Carton Records and Pagans.

To open the senses, poetic senses, physical senses, to a sensitive world within ear's reach. Ordinary or extraordinary sounds, sounds that immerse us, call to us, give us rhythm, reassure us, fill us with wonder, sounds that polish our deep vibrations, the very ones from which music emerges, an indestructible link between the mystery inside and the mystery outside, a vibratory act that unfolds and connects our worlds to the invisible.

Using their instruments to open sounds from the outside is what constitutes the matrix of No Tongues, created in 2015. On their 1st record "Les Voies du Monde", they focused on an anthology of voices collected by ethnomusicologists and created their unique sound through the practice of deep, physical listening. Forged over centuries, these original voices are the source of an instrumental sampling work seeking to open the sound palette and leave the voices' trace in the listener's body. The substance of each song then unfolds through the orchestra- tion of instrumental timbres in quasi-electroacoustic domains, and the extrapolation of deep musical structures from these extracted sources.

In 2019, fascinated by the link between human environment and the music that it generates, they decided to confront themselves with a Great Elsewhere, spending 7 weeks in the Amazonian forest, with the Teko and Wayampi indigenous people of Guyana, to create "Les Voies de l'Oyapock".

Discovering someone else's world is always a roundabout way of searching for one's own.

Then came the clear need to confront themselves and their practice to what was right there, right HERE (ICI): the sound of drizzle on a skylight, a spring fire in La Caillère, chimes in Bono's cinerary garden, the beep of the paw patrol phone, a jogger, a faucet, Patrick's bees, the oven before the pizza, a TGV, children's voices, a belt sander, the polyrhythmic drips falling from a wet sweater...

Each musician collected sounds they liked, those which sprung from their lives, invited friends to offer songs (Linda Oláh, Isabel Sörling, Elsa Corre, Loup Uberto), and opened their ears freely in every direction.

Then began the work of collective creation. The No Tongues method means slipping into the collected sounds several weeks before entering the studio, many elements having been worked on and developed, but with no pre-existing piece. Four weeks of sound recording and compo- sition in the studio (excluding mixing), offered the band time enough to enter a new creative process, fully immersed in the sound grain as a musical source with editing and post-production tools readily available.

This new opus ICI opens aesthetic breaches within the group's identity, in particular with the arrival of electric and electronic sounds, as up until now everything was produced acoustically. It testifies to an ICI that is intimate with and open to the world, to a need for expiatory vibrations, ritual sounds to heal, to fight, to share, carried by the commitment of a band of musicians looking for their place of sound, their roles as human beings thrown into a crazy reality, with only their instruments, their ears and the honesty of their awakened presence as weapons.

ICI will be released on November 25 on Ormo, the band's historic label, but also on Pagans, a label sensitive to that which springs from the friction of the modern and the secular, and the label Carton, one of the spearheads of experimental and creative music in France.

reviewSeb Brunno tongues, ici
balladur | la vallée étroite @ mowno (fr)

Depuis ses débuts, Balladur prend plaisir à dérouter, à perdre puis à retrouver ses auditeurs qui ont vite compris que le confort et la répétition ne faisaient pas partie de son ADN. Depuis Villeurbanne, Amédée de Murcia et Romain de Ferron servent un registre très libre et très beau, entre guitares et machines, avec le souci de rester dans un état de mue perpétuelle. Délaissant ses anciennes peaux au bord des routes, des salles de concert et des squats, le duo améliore autant qu’il dérègle une formule jouée au centre du public, à même le sol, pour un face à face ne visant que le partage et la communion à mesure que l’audience s’enivre des dizaines de références disséminées au long des morceaux.

Sur ce troisième album, Balladur développe quantité d’images et de récits joignant le lointain et l’immédiat. Dans une transe qui lie les pôles et les distances, le duo donne à son post punk d’origine les accents d’une danse traditionnelle javanaise (Kuda Lumping) avant de reprendre le morceau d’un chanteur indonésien (Angka Satu) qu’il double d’étrangetés et de voix robotiques pour en proposer une version déroutante et enthousiaste.

Si l’oeuvre des lyonnais se définit par le prolongement d’une communion que l’on retrouve aussi bien sur disque que sur scène, leur musique sait aussi se faire plus réflexive et évoquer la galère de l’exil. C’est dans ses moments les plus graves que se dégage véritablement le ton de l’album, son désir d’habiller et d’épauler tous les voyageurs – forcés ou volontaires – creusant la route chaque jour. Véritable disque de voyage, La Vallée Étroite emprunte notamment son nom à cet espace montagneux franco-italien que de nombreux migrants traversent chaque année dans l’espoir de tout recommencer ailleurs. Traversé de motifs entêtants, de bribes d’italien et de français, ce morceau en forme de lente ascension et de doux dérèglement est un des sommets de l’album. Avant lui, Les Poches Vides chante avec plus de solennité, et dans toutes les langues, la galère universelle qui angoisse et lie chacun, au trajet et au sens qu’on lui donne.

Au fil d’allers/retours incertains, La Vallée Etroite cartographie les espaces parcourus par Balladur, et rend hommage de la plus belle des manières à tous ceux qui l’ont fait jouer. Inspiré des folklores, des langues et des frontières, ce troisième album est une réussite complète qui montre une fois de plus l’ambition et le talent intact d’un duo sans barrières.

balladur | la vallée étroite @ gonzaï (fr)

Balladur, c’est évidemment l’homme des mauvais choix (la trahison chiracienne de 1995, le port du goitre, le refus de la coldwave pour ses meeting, etc), mais c’est aussi un duo de Villeurbanne signé chez Le Turc Mécanique. Avec leur troisième album “La vallée étroite”, ils prouvent que l’avenir du rock, si tant est qu’il en ait un, est dans l’ouverture à l’étranger. Tout l’inverse d’un concept RPR, en somme.

“Croire en la France”. C’est peut-être là que ça a commencé à déconner pour Edouard. Nous sommes alors en 1995, et l’ami de 30 ans de Jacques Chirac décide de partir solo pour la Présidentielle où, comme on le sait, il se tôlera sévère, tel un Dj ayant oublié ses disques chez lui. L’affiche qui devait le faire gagner porte ce slogan, et la phrase est avec le recul tellement stupide qu’elle permet de faire le lien avec le groupe du même nom qui, pour le coup, ne croit qu’en lui.

C’est ce qui marque en premier à l’écoute de “Vallée étroite”, un disque libertaire où Balladur s’affranchit de tous les codes où on les croyait coincé. Si les instruments restent peu ou prou les mêmes que sur les deux albums précédents, il est ici question d’un gros virage à la Ayrton Senna, direction une espèce de zouk mutante impossible à dater sur la frise chronologique du WOK AND WOLL. D’ailleurs, ce n’est plus ça du tout, mettez votre vocabulaire à jour : Balladur, contrairement à tous ces jeunes-vieux groupes faisant les malins avec des guitares exotiques travestissant les riffs de la Compagnie Créole en micro-tubes pour puceaux, n’est pas devenu une pale copie des Foals ou de tous ces artistes French pop tirant leurs poignets vers le bas du manche et les notes aigües. La coldwave, la synthpop froide, la metallo-chanson pour sidérurgiste, merci bien. “Vallée étroite”, ce n’est plus du rock – au sens large – et c’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme de cet album hybride à cheval entre plusieurs genres, plusieurs sommets pour paraphraser la pochette hommage à la vallée dangereuse par laquelle passent les migrants venus d’Italie, dans l’espoir de jours meilleurs en France.

Le “croire à la France” précité, du coup, prend tout son sens. Ayant bien compris que rien de bon n’était à attendre de qui que ce soit de ce côté de la frontière, Balladur, étrange dans son propre pays, livre un condense de zouk mutante mixée à de l’exotica allemande qui rappellera aux plus vieux les excursions de CAN, aux autres les génériques d’attente téléphonique quand on avait encore un téléphone fixe, comme sur le magistral titre de clôture Dans la 205.

Arrivé au bout de ce chemin, on aimerait que “La vallée étroite” soit passé en boucle dans les écoles primaires, ne serait-ce que pour enseigner aux nouvelles génération qu’il existe un sentier escarpé permettant d’éviter le choix binaire entre rap autotuné pour blancs bourgeois et pop insipide mâchouillée par des chanteurs qui auraient mieux fait de devenir guichetiers dans une salle de spectacle pourrie perdue dans une ZEP de la France profonde. On souhaite évidemment tout l’inverse à ces deux zouaves encore trop jeunes pour devenir chiants; croyez en ce Balladur, au moins lui ne vous trahira pas.

balladur | la vallée étroite @ goutemesdisques (fr)

robablement parce que l’on connaît plutôt pas mal ses chevilles ouvrières (Charles Crost aka Le Pasteur Charles et Thomas Durebise), on s’est formé une image certainement déformée et réductrice du label parisien Le Turc Mécanique (LTM), influencés par ce que ces gentils nounours de l'underground hexagonal véhiculent comme énergies. Probablement aussi parce que nos groupes préférés sur LTM sont de fervents adeptes de la politique de la terre brûlée, on produit des généralités à partir de cas spécifiques et pas forcément représentatifs d’une maison qui fonctionne bien plus aux coups de cœur qu’aux étiquettes.

En même temps, à la décharge de Balladur, le duo respectait à ses débuts le cahier des charges qu'on avait imaginé pour le label, plaçant ses premiers travaux dans un carcan cold wave, dont on allait par contre vite comprendre qu’il n’allait pas résister bien longtemps à ses envies d’ailleurs. Dans cette optique, leur album Super Bravo sorti en 2016 était le symbole de cette soif de mutation, de ce besoin irrépressible de s’ouvrir à d’autres genres dont il fallait extraire la substantifique moelle pour la réinjecter dans un moule aux formes certes imparfaites, mais tellement aguicheuses.

La Vallée Étroite, troisième album du groupe sur LTM, s’inscrit dans le droit fil de son prédécesseur, mais pousse cette logique jusque dans ses derniers retranchements, proposant une œuvre dont la radicalité formelle n’a d’égal que la simplicité que l’on qualifierait de 'pop' si la musique de Balladur ne se nourrissait pas de tellement d’autres choses, du post-punk aux musiques bruitistes en passant par l’electro-pop ou même le reaggaeton. Aussi insaisissable qu’irrésistible, La Vallée Étroite n’est rien de moins que l’un des meilleurs disques de rock francophone de l’année 2019. On dit francophone, car on lui trouve quelques similitudes avec Massif Occidental, l’impeccable second album des Suisses d’Hyperculte sur Bongo Joe Records.

Enregistré et mixé dans le studio lyonnais du groupe, ce nouvel opus est l’occasion pour les deux membres de Balladur d’ouvrir les vannes comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant, de continuer à avancer sans penser aux travers désagréables de la pollinisation croisée ou de l’appropriation de certains genres avec lesquels il n’est pas toujours simple d’expérimenter - on pense à certaines « musiques du monde » qui s’épanouissent ici comme jaja parce qu'on les traite sans ce mélange d’opportunisme et de peur de mal faire.

Cette vallée étroite qui donne son titre à l’album, c’est une référence à cette traversée dangereuse du col de l'Échelle entre l'Italie et la France, une route périlleuse où les espoirs de dizaines de milliers de migrants à la recherche d’un avenir meilleur en France se perdent chaque année - l’un des morceaux porte d’ailleurs le nom d’une ville, Bardonecchia, qui cristallise à elle seule tous les dysfonctionnements d’une politique européenne qui semble avoir paumé son humanité quelque part au fond de la mer Méditerranée. Mais ce titre est aussi un bon résumé de la philosophie d’un duo qui utilise une musique forte en émotions pour raconter des choses qu’on n’entend plus au JT de TF1 ou de France 2, pour nous confronter à notre condition d’occidental privilégié qui oublie trop souvent (ou fait semblant de ne pas voir) ce qui se passe autour de lui. Balladur bande dur et on ne va certainement pas se priver de reluquer.

balladur | la vallée étroite @ section 26 (fr)

Depuis une demi-douzaine d’années, Balladur enchante les salles de concerts et autres squats avec un live unique en son genre, placé au milieu du public, avec un set-up plutôt léger constitué de machines, guitare et micros. En un sens, Balladur est une expérience qui dépasse le cadre classique du concert où le spectateur est passif. L’ensemble évoque ainsi tout autant, si ce n’est plus, les fêtes traditionnelles comme les musiques de processions dans les villages thaïlandais (Phin Prayuk). La musique du duo de Villeurbanne traduit, à bien des égards, la recherche de communion et de partage au cœur de la démarche du groupe. Si l’ensemble est dédié à la danse, il garde une éminente dimension politique. Et ce, jusqu’au titre de ce nouvel album, La Vallée Étroite, une référence directe aux migrants tentant de traverser la frontière italienne à travers les montagnes. En trois longs-jeux, la formation a affiné un son unique, syncrétisme d’influences aussi diverses que le dub, les musiques du monde entier (sous leur forme folklorique ou populaire), la dance music avec une éthique punk et DIY, si tant est que le terme signifie encore quelque chose. En un sens, difficile d’imaginer la formation française ailleurs que chez Le Turc Mécanique (Bracco, Tôle Froide, Jardin). Groupe et label partagent en effet un goût pour les chemins de traverse, ceux qui font chier les puristes et ravissent les curieux. La Vallée Étroite est peut être le meilleur album du duo à ce jour. Il convoque l’auditeur à une célébration œcuménique où chacun peut participer et laisser libre cours à son imagination. Dès l’entame, l’hypnotique Kuda Lumping (une cérémonie indonésienne traditionnelle), Romain De Ferron annonce : « C’est la fête, tout le monde s’agite » dans un maelström de guitares post-punk signé par l’autre larron, Amédée De Murcia. L’ensemble semble avoir un pied quelque part en Asie, du coté de l’Indonésie, et l’autre à Cologne dans la salle de répétition de Neu!, un orteil se baladant sur le dancefloor. La reprise du classique Angka Satu du musicien de Dangdut, Caca Handika, offre l’occasion à Balladur d’explorer une facette plus pop de leur musique. Le duo s’approprie la chanson originale tout en respectant son essence profonde, en créant un petit tube déviant. Le groupe rend en parallèle hommage à Joy Division à travers Les Poches Vides, un long crescendo extatique, tunnel de lumière déchirant la brume. Le groove chaloupé d’Islero évoque une improbable rencontre entre le reggae digital jamaïcain et le punk növö de Marie et les Garçons dans cette diction si particulière. La Vallée Interdite, chanson titre, lui fait suite et constitue l’un des temps forts de l’album. Le texte poignant est sublimé par une composition délicate constituée de synthétiseurs et de strates de samples de voix entrelacés. Balladur pense heureusement à nous. L’atterrissage se fait en douceur avec Sonde Lambda puis Dans La 205, une odyssée shoegaze cotonneuse dont la mélodie rappelle étrangement celle du Téléshopping. En un peu plus d’une demie-heure, Balladur signe l’un des albums les plus attachants et originaux de l’année. Libre dans sa forme, dans son propos, ouvert sur le monde, La Vallée Étroite est une célébration politique et culturelle de la fraternité.