hippie diktat @ citizen jazz

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Hippie Diktat n’est pas le titre du dernier éditorial de Valeurs Actuelles au sujet des vélos en libre service ou de l’invasion de nos villes par les supérettes bio. Certes, on pourrait filer la métaphore en rapprochant la dureté acrimonieuse du saxophone baryton d’Antoine Viard, aperçu dans le quartet Pipeline, du ton bilieux de la guitare de Richard Comte avec les plumes de l’hebdomadaire, mais la comparaison s’arrêterait là ; il y a fort à parier que cette musique improvisée hérissée de métal ne sera jamais la bande-son des bouclages du magazine.

Sorti en coproduction entre le label Coax et les nouveaux venus de BeCoq Records, Black Peplum est le premier album d’un power trio qui a su se faire une place au cœur de cette scène en pleine effervescence, qui aime à marier la virulence du hardcore et l’immédiateté de l’improvisation. La sixième production de BeCoq confirme sa tendance à se situer au confluent des marges, là où se croisent le free, la noise et, donc, le hardcore, trois étiquettes que Hippie Diktat peut faire revendiquer. Une réputation précède le trio, ponctuée, voire assenée, dès « Black Peplum » par le batteur Julien Chamla, par ailleurs membre du quartet We are All Americans de Hasse Poulsen : celle d’un groupe cogneur et sans compromission. Elle se voit confirmer par la densité de l’album, où le baryton de Viard vient doubler la guitare sur la crête des cymbales.

Dans le maelström de « Deaf Can Dance », les hurlements de ce baryton peuvent faire songer à Eric Vagnon (Spoo), comme la sécheresse de la guitare trouve une proximité naturelle avec Kouma, autre trio du collectif Coax. Mais passée la décharge d’électricité, on découvre une certaine finesse derrière le mur de son, une masse extrêmement ouvragée malgré son aspect brut. C’est dans « Angoisse » que tout ceci se révèle, à mesure que l’impression de bruit blanc de la saturation se prolonge dans une sorte de continuum lancinant et mystérieux. Comme le paon aux centaines d’yeux qui orne sa pochette, Hippie Diktat sait transformer ses rodomontades agressives en parade colorée. Prenez garde tout de même aux coups de bec…

Franpi Barriaux

hippie diktat @ monsieur délire

HIPPIE DIKTAT / Black Peplum (BeCoq/Coax)

Ce disque est une collaboration entre deux jeunes étiquettes françaises qui me font flipper fort. Hippie Diktat est un power trio saxo baryton/guitare/batterie qui mélange skronk, rock psychédélique et doom. L’album est court (31 minutes) mais puissant à l’os et très convaincant. Ça me fait penser à Guapo, à Kruzenshtern i Parohod et à Seven That Spells, tout en même temps. Antoine Viard est monstrueux au saxo. Recommandé. 

This record is a collaboration between two young French labels that regularly get me all excited. Hippie Diktat is a power trio with baritone sax, guitar and drums. They blend skronk, psychedelic rock, and doom. Their album is short (31 minutes) but it packs a serious, convincing punch. I’m thinking of Guapo, Kruzenshtern i Parohod, and Seven That Spells all rolled into one. Antoine Viard is a monster on baritone sax. Recommended. 

hippie diktat @ pertes & fracas

Hippie Diktat

Black Peplum – CD

Coax records / BeCoq records 2014

Ah putain, comme ça a été dur pour m’en remettre. Mais alors là vraiment. Je ne parle pas de mes vacances d’été prolongées, sous le soleil caniculaire du Jura – et donc de mon absence totale de volonté pour reprendre l’écriture de chroniques de disques que personne ne lit – mais de ce concert, il y a un peu plus d’une année, où je découvrais enfin ce groupe précédé d’une réputation plutôt flatteuse : Hippie Diktat. Ne vous fiez surtout pas à ce nom, parce qu’Hippie Diktat n’est pas du genre à jouer une musique compatible avec les cours de sophrologie de votre maman ou les omelettes aux champignons hallucinogènes que votre papa se plait à cuisiner à chaque automne. Pas plus que l’oiseau ornant la pochette de ce disque ne donnera une indication fiable quant au réel contenu de Black Peplum, nouvel album de Hippie Diktat. Car comme l’affirmait ce cher Guillaume (Apollinaire), il n’existe peut-être pas d’animal plus ridicule et plus décevant que le paon : « En faisant la roue, cet oiseau / Dont le pennage traîne à terre / Apparaît encore plus beau / Mais se découvre le derrière. » Bon, rassurez-vous : je vais tout de suite arrêter de faire le malin et je ne vais pas vous causer poésie tout du long, parce que ce groupe mérite bien mieux que d’être comparé à un volatile orgueilleux.

Hippie Diktat est donc un trio. Un trio avec un saxophoniste qui pratique le baryton trapu, un guitariste sculpteur de saturation et un batteur opiniâtre. Et Hippie Diktat joue fort. Hippie Diktat joue gras. Hippie Diktat joue épais. Hippie Diktat est expert dans l’art de transmuter le jazz cher aux hippies et aux intellos de gauche pour le recomposer en quelque chose qui ne ressemble pas à une grosse merde progressive ou à une suite d’épanchements virtuoses. Et s’il y a du jazz ici, il n’est pas réellement free non plus, servant avant tout de référentiel mélodique voire lyrique – les complaintes du saxophone sur Full HD me donnent sans cesse la chair de poule – pour mieux préparer le déluge de feu qui pointe juste derrière et va bientôt nous exploser à la gueule. Plus organique et plus adipeux (qui a dit metal ?) que leurs collègues de Kouma, les trois garçons de Hippie Diktat partagent cependant avec les lyonnais ce volontarisme décomplexé et visionnaire qui, à nouveau, démontre infailliblement que l’on peut être un musicien qui a été à l’école et aimer quand même et malgré tout faire du bruit signifiant, tout ça sans passer pour un poseur ou un prétentieux (que les baba-zoukeurs fans de happy-math-noise lèvent la main et quittent la salle immédiatement).

Deuxième album de Hippie Diktat, Black Peplum est ainsi largement plus à la hauteur de ce concert d’il y a un an, reléguant au rang de souvenir un premier disque autoproduit méritant mais encore trop imprégné du jazz à papa, certes plein de bonnes idées mais à la personnalité pas encore suffisamment affirmée. Là on sent bien que le groupe est sur la bonne voie, qu’il a trouvé quelque chose et qu’avec Black Peplum il est habité par une énorme envie d’en découdre et de nous surprendre. Me vient immédiatement à l’esprit cet autre extrait (mon préféré à dire vrai) du Bestiaire de Guillaume Apollinaire et qui à mon sens colle bien mieux à la vindicte rageuse, intransigeante, électrique et parfois inquiétante de Hippie Diktat, cela s’appelle Le Poulpe : « Jetant son encre vers les cieux / Suçant le sang de ce qu’il aime / Et le trouvant délicieux / Ce monstre inhumain, c’est moi-même. » Merde, j’ai encore trouvé le moyen de parler poésie, quel sale intello je fais.

Hazam (10/09/2014)

hippie diktat @ heavy mental

Par contre ça va nettement moins rigoler avec HIPPIE DIKTAT (oui, c’est soirée spéciale noms de groupes à la con). Un trio dans lequel on retrouve le guitariste Richard Comte, auteur d’un album solo dont on reparlera très bientôt et déjà vu en concert avec Heretic Chaos, duo qu’il formait avec Yann Joussein de DDJ, SnAP, etc… Est-ce-que tout le monde arrive à suivre ? Non ? Bon, Hippie Diktat est, après SnAP découvert le jour d’avant, un autre groupe du collectif Coax, coopérative musicale décidemment en pleine ébullition. Au côté du guitariste jouent également un saxophoniste baryton (Antoine Viard) et un batteur (Julien Chamla).

Quoi ? Vous vous en foutez un peu beaucoup des noms de ces trois musiciens ? Et bien vous avez tord. Parce que personnellement je vais faire un effort tout de suite là et maintenant pour dénicher et écouter tout les groupes et projets auxquels ces trois types participent par ailleurs. Je vais peut-être être déçu mais j’ai confiance. Tout ça parce que Hippie Diktat a été une claque énorme en concert. Un mélange de noise-rock et de freeture d’une puissance incroyable et surtout d’une ampleur volumétrique qui vous écrase à chaque instant. Lorsque le groupe ralentit la cadence le phénomène d’écrasement est encore plus palpable, oui on n’est pas loin d’un jazz metal en version sale et grésillante et dans ces moments là je perds un peu le contrôle de moi-même. OK, je ne suis pas le seul et Hippie Diktat – le meilleur groupe avec lequel Cheverny a joué durant sa tournée triomphale du printemps 2013, me dira-t-on un peu plus tard dans la soirée – électrise le public entassé au Périscope. Révélation.

hippie diktat @ indie rock mag

Un bling, un groink et un tchak, il n’en faut pas plus à Hippie Diktat pour dessiner un agrégat jazz/metal/noise certes furieux mais d’une grande finesse. Après le chouette éponyme autoproduit de 2012, place à Black Peplum qui, comme son nom l’indique, voit le trio faire les choses en grand.

Ils sont trois mais sont capables de sonner comme quinze. Pourtant, l’ensemble reste paradoxalement très aéré. Réunion du saxophone baryton, touche-à-tout mais néanmoins plombé d’Antoine Viard (PipelineThe A.A’s ou encore Tristanol, liste non exhaustive) acoquiné à la batterie finaude de Julien Chamla (We Are All AmericansHelved RümFélineMOBILEINSEL MUSIK entre autres, sans oublier ses travaux solo), sous l’égide de la guitare enragée de Richard Comte (Heretic Chaos, un nombre impressionnant de collaborations mais aussi responsable d’un album solitaire, Innermap dont je ne saurais trop vous conseiller l’écoute), Hippie Diktat fait naître un sacré bordel à la sortie des enceintes. Le trio atomique dynamite son jazz déjà bien disloqué à grands coups de noise furibarde et balance des pincées de metal par-dessus pour rigidifier le tout. Et justement, force est de constater que le tout tient fièrement debout, bien campé sur ses fondations quoi qu’il arrive. « Hippie Diktat’s music is radical, raw and powerful » avance le trio, on ne saurait mieux dire. Nouvelle sortie du prolifique BeCoq après l’excellent Kindergarten de Louis Minus XVI, on tient là un disque qui est du même bois. Le même niveau d’excellence, la même expertise, les mêmes intentions sans doute aussi, que l’on pourrait parfaitement résumer par la laconique formule des Dead Neanderthals : « FUCK conventions and FUCK expectations ». En effet, la belle corolle de paon verte et bleue qui orne la pochette ne laisse en rien présager ce qu’elle cache. Un truc nucléaire qui balance de belles rasades retorses alternant avec des moments plus apaisés, très lents et rampants. Ils permettent au cortex de recouvrer son souffle quand le groupe empoigne l’auditeur partout ailleurs sans chichis en apposant simplement ses doigts autour de son cou. En relâchant ainsi son étreinte de temps en temps, la sidération ne s’effrite pas. Pourtant Black Peplum n’est pas foncièrement long mais s’il fallait recevoir ses déflagrations tout de go et sans pause, son intensité s’en trouverait forcément ternie. Et puis, loin d’être un groupe bas du front et sans nuances, Hippie Diktat préfère de toute façon privilégier l’exploration, le contre-pied et la rupture plutôt que se contenter de n’être que monochrome. Sans doute est-ce là aussi le sens de sa pochette multicolore à bien y regarder.

Cinq titres où la sauvagerie le dispute au silence, où le trio montre qu’il peut faire très mal mais aussi rentrer à l’intérieur de lui-même et se taire simplement. Quoi qu’il en soit, cette demi-heure passe bien trop vite et à peine les onze minutes et quelques du très impressionnant et bien nommé Angoisse viennent-elles d’agoniser que l’on sent poindre l’envie d’en entendre beaucoup plus. On se rabat donc sur le disque et on repart bien vite dans les circonvolutions plombées et urgentes de Black Peplum qui montre la batterie se reconfigurer sans cesse au gré des attaques de la guitare contre les lignes massives du saxophone. On a connu plus pacifique comme entame mais aussi moins saisissant. Et qu’Hippie Diktat balance ses tripes sans attendre dès le premier titre fait naître une furieuse envie d’explorer la suite. Ça tombe bien, E. Peacock voit le groupe tutoyer Noxagt ou Monno en densité sous l’effet d’une guitare proprement tellurique qui élabore un mur du son robuste que les coups de boutoir du baryton ont bien du mal à lézarder. Le climax est légèrement rompu sur un Deaf Can Dance durant lequel la guitare se tait pour laisser le saxophone et la batterie dialoguer tranquilles quelques instants. Sans doute le titre le plus rampant de Black Peplum. Le plus « jazz » aussi. Il reste cependant tout aussi accaparant que les autres. Full HD poursuit cette voie et montre à quel point le trio se fout des étiquettes. Quelques breaks typiquement metal l’ornementent (et cette fois-ci, c’est à Zu que l’on pense) que l’on retrouve très vite sur Angoisse. Le sommet. Disloqué, haché menu, doté d’une lourdeur extrême mais également très aéré, Hippie Diktat montre ici l’éventail de ses armes et se livre sans retenue. Les tympans en prennent plein la gueule mais pas que, le silence gagne du terrain peu à peu et finit par l’emporter. Un truc que l’on rêve de croiser en live pour voir comment le groupe restituera sa structure complexe et proprement métamorphe. Toutefois, on voit bien à quel point le trio s’accommode du studio, l’enregistrement de Richard Comte himself, tout à la fois naturel et détaillé, donne tout son poids à une mixture qui n’en manque déjà pas et lui permet d’habiter pleinement l’espace.

« Sale est son poil, généreux toujours... le hippie rit/Volontés atrophiées, vivre l’urgence... le hippie peste/Énergie décadente, masse sonore sauvage... le hippie chie/AMOUR » peut-on lire ici ou  et bien que Black Peplum mette en avant le côté hirsute de la formation, elle fait preuve par ailleurs d’une telle générosité, d’une telle débauche proprement offerte que même rigide et furibarde, elle n’en reste pas moins, c’est vrai, foncièrement hippie (enfin, en tout cas la version Flower Power qui ne s’était pas encore vendue au Grand Capital). Quoi qu’il en soit, voilà encore une sacrée perle à porter au crédit de Coax, de BeCoq et en règle générale d’une scène jazz/noise/metal/expérimentale locale et souvent triangulaire en pleine expansion (Louis Minus XVIKouma et tant d’autres). De la fureur, du bruit, de la tension et de l’apaisement, au final beaucoup de liberté et de souffle contenus dans des morceaux dynamiques qui empruntent ici et là pour construire un ailleurs saisissant.

Brillant.

ok | shards @ kaput brain webzine (fr)

Au rythme quasi-frénétique d’un EP par an, Ok dévoile depuis 2011 un répertoire folk concrétisé cette année par la sortie d’un premier album intitulé Shards. Sous ses airs de formation acoustique, le groupe puise ses influences dans le rock, qu’il soit hard ou pop, et dans l’électro. En résultent des compositions rythmiquement élaborées, appuyées par des sonorités synthétiques surprenantes pour ce registre, et renforcées par un jeu de guitare parfois déstructuré à la manière de Sonic Youth. L’ensemble, produit avec efficacité, dégage une impression de minimalisme chère aux White Stripes. Paradoxal par ses compositions, Ok l’est également par la voix de son chanteur ajoutant à Shardsune dimension lyrique. S’il n’est pas question d’opéra-rock inspiré de Queen, la bande gagne davantage en diversité tout en préservant un caractère folk américain. Loin de se disperser maladroitement dans divers registres, Ok développe un univers musical varié, original et accessible.

reviewSeb Brunfrance, ok, shards
ok | shards @ nouvelle vague (fr)

Faisant appel aux instincts primaires, “Shards”, le premier album de OK, est à la fois un voyage intérieur et une ouverture sur l’autre. « A Night To Switch On », aux mélodies pop, teintées de sonorités hindous, fait penser aux grands succès de David Bowie. Ambitieux, après deux EPs, sortis respectivement en 2011 et 2012, le groupe prend le pari de voir plus grand et de toucher un plus large public. « Shards » est introduit par une guitare électrique style rock 70’s, où l’ on sent leurs influences stoniennes. « Turning On A Dime », entre pop léchée et glam rock sur fond de banjo, rend l’auditeur nostalgique. OK sait surfer sur différents courants musicaux tout en sachant rester lui-même. « Road », à la guitare hachée et vibrante fait parfois penser aux intros d’Angus Young. Truffé de référence et de clin d’œil musicaux, OK réussit le pari fou avec « Shards » de réconcilier tous les amateurs de rock.

reviewSeb Brunfrance, ok, shards
ok | shards @ mowno (fr)

A chaque apparition de Ok, soit à l’occasion de deux Eps sortis en amont, on regrettait tout haut qu’il ne prolonge pas le plaisir sur la longueur d’un album. C’est désormais chose faite: après deux succulentes mises en bouche, le quatuor passe enfin le cap d’un premier long format, non sans s’être imposé quelques changements. Le plus évident, l’abandon regrettable du deuxième batteur qui, autrefois ici ou là, amenait force et originalité aux compositions. L’autre, certainement plus volontaire et naturelle, c’est l’ouverture d’esprit grandissante comme la plus grande maturité d’un groupe dont l’osmose est désormais telle qu’elle lui permet d’élargir plus encore ses influences pour finir par ne répondre qu’au simple qualificatif rock. Véritable dictionnaire ouvert de la musique à guitares, ‘Shards’ puise ainsi dans tout ce qui le tente, de l’indie rock (‘Baked In Clay’) au folk (‘The Gardener’) en passant par le heavy (‘Road’), sans jamais donner le tournis ni oublier de soigner cette sacro-sainte cohérence dans laquelle le quatuor finit par tirer sa personnalité. Au dessus des modes et des tendances, les normands couchent simplement leur inspiration, sans se forcer à convaincre. S’il n’est donc pas certain que tout le monde le suive d’un bout à l’autre de cet opus plus classique que pressenti, ou soit réceptif à ses quelques prises de risque (blues sur le titre éponyme, ou electro sur ‘The Frontline’ et ‘A Drunken Text’), Ok ne se fera pas d’ennemi pour autant. A défaut de livrer l’extase attendue, il fait donc de ce ‘Shards’ un album qui ne peut laisser indifférent. Juste récompense pour qui s’offre un peu de liberté.

reviewSeb Brunfrance, ok, shards
ok | shards @ benzine mag (fr)

Avant de jeter une oreille à ” Shards ” le premier album de OK, j’erre par une nuit brumeuse et sans sommeil sur la page Facebook du groupe : OK heavy-folk. ” Heavy-folk ” ? Deux mots aussi incompatibles que ” Variété Indé ” ou ” Rondo Veneziano “. Crétin péremptoire que je suis !

J.’envoie un texto au boss : dsl ok c pamatass 2 t

Me répond : tkt c pagrav

Malgré tout, luttant contre mes démons fascisants, j’écoute”et plusieurs fois encore. Parce qu’il y a beaucoup de belles choses. Ne jamais se fier aux classifications. J.’en use la jaquette à promener le disque avec moi.

Un peu de heavy bien sûr, avec des grosses guitares blues-rock australiennes si tu piges l’astuce Angus : bons vieux riffs à deux-trois accords et mini-solos en guise de liant. Le côté lourd (heavy en anglais).

La voix de Guillaume Magne se pose, calme, éraillée, provocante ou monte très fort et très haut pour emballer la machine. Le monsieur sait très bien chanter, il me fait penser à Roger Daltrey.

Le rapprochement avec les Who ne se limite pas à une similitude de tessiture. ” Turning On a Dime ” flirte carrément avec l’opéra-rock et la nuance est présente sur tout l’album. Un petit côté ” Tommy ” avec des montages alambiqués dans les structures et mélodies. Les choeurs de bonshommes font exploser les refrains.

l’ensemble est super efficace, puissant, entêtant.

ok

J.’accrédite cette piste en emmenant mes filles à l’école. Je fais des expériences, je ne passe pas ma vie à picoler du (Back in)Black Label et fumer des clopes à dix balles ou presque en tapant frénétiquement sur une vieille Underwood ! Je profite de ces trajets pour parfaire leur éducation musicale. Je mets ” Shards ” dans l’autoradio, la petite suce son pouce à l’arrière et s’en fout royalement, la grande me dit que ouais c’est pas mal mais quand même un peu bizarre. Je ne m’inquiète pas, le monde d’une jeune fille de dix ans est, de toute façon, un peu bizarre. Mon histoire devient intéressante quand, en sortant de la voiture, elle se met à fredonner inconsciemment”comme hypnotisée”le thème principal du ” Fantôme De l’Opéra “. (La chanson préférée de mes filles en ce moment, pour te donner un ordre d’idée, c’est celle de la pub Miel Pop.’s avec les abeilles et le vocoder). Elle est sous l’influence d’une force paranormale. Évidemment ! C’est peut-être subliminal mais il y a bien une teinte opéra-rock, dans le placard ! C.’est validé. 1+1=2.

La part folk des ” OK “est plus subtile et spirituelle. C.’est cette reprise gonflée à la testostérone du ” Road ” de Nick Drake. Quiconque oeuvre à la conservation du patrimoine du maître et génie dépressif mérite les honneurs. C.’est cette belle chanson, ” The Gardener ” qui sonne comme du Bowie période Hunky Dory. C.’est ce petit banjo ou assimilé qui ouvre l’album et se promène. C.’est l’intelligence délicate ou la délicatesse intelligente des arrangements et des compositions. C.’est enfin le ciel gris et mélancolique d’un trajet Paris-Rouen sur l’autoroute de l’Ouest. à‡a c’est Folk !

Les honneurs encore, et ça, ce n’est pas du tout heavy-folk, pour l’inventivité bruitiste du très bon ” The Frontline ” ou de l’étrange et terrible ” A Drunken Text “. Plus tu avances dans l’album, plus l’expérimental s’installe. à‡a ce fait progressivement, sans que tu l’entendes, discrètement. Tu finis complètement perché avec les machines et le saxo déjanto-bahaussien du dernier titre (dont je n’arrive pas à lire le nom sur la jaquette puisqu’elle est usée j’te rappelle). Si les OK sont quatre aujourd’hui dans une formule rock.’n’rollienne classique, dans une autre vie, ils ne furent que trois, un guitariste-chanteur et deux batteurs (dont un multi-instrumentiste type Bobby Nastanovitch de Pavement, étalon-or de la profession), laissant la part belle à l’expérience sonore. Ils semblent ne pas l’avoir oublié.

Alors si comme moi tu es un peu allergique au heavy, dis-toi que c’est vraiment ici à petites doses et drôlement bien fichu. Prends ça pour de la mithridatisation au cas où un jour tu te fasses coincer dans un ascenseur avec un fan de AC/DC et son ghetto blaster. Tu seras prêt.

Shards, c’est bien plus que du heavy-folk, c’est très riche, (un peu trop parfois), très musical, très distingué.

Shards c’est OK !

reviewSeb Brunfrance, ok, shards
gilles poizat | micro​-​vertige et l'expérience du flottement @ l'oeil de la lymphe

« Seul en scène avec guitare, trompette et pédales d'efets psychotropes, ce songwriter de génie nous entraîne dans les méandres d'une forêt intérieure étrangement habitée, où les mots ne nous sont d'aucun repères. Même si on le sait totalement bilingue et compositeur de morceaux teintés d'une folk plus britannique tirant parfois vers le punk-noise, il nous a offert ce jeudi un set comme un très fin fil, fragile, majoritairement en français et en frissons. Ce qui est bien avec Gilles Poizat, c'est qu'on a beau écouter sa musique plusieurs fois, on ne s'y habitue pas. » Gaëlle Jeannard

Seb Brungilles poizat, france
gilles poizat | micro​-​vertige et l'expérience du flottement @ benzine mag

"Mais qu’est-ce qui fait courir Gilles Poizat ? L’homme est aussi insaisissable que sa musique. Trompettiste de formation (il en reste des traces sur Lentement ou Major Quality), joueur de kora pour des artistes africains, le songwriter a fnalement choisi la guitare pour assoire sa musique dans une position pour le moins bancale. Poizat a des micro-vertiges et des fottements et on le comprend. L’homme est un esprit libre, un franc-tireur qui peut dégoupiller une bombe punk noise (parasite) ou improviser une pièce instrumentale à la guitare acoustique (Lit-Cage dans la lignée de l’aventureux L’Ocelle Mare) ou irradier la chanson française par des rayons expérimentaux (Moment de force). Entre ces extrêmes, Poizat écrit de drôles de folk songs, chaotiques et changeantes mais recomposant des passages d’une beauté fragile, comme le pourpre rétinien qui se reforme après avoir été plongé dans l’obscurité. On pourrait citer Daniel Johnston ou Ariel Pink si le Français n’insufait une dose de folk plus britannique dans ses chansons éprises de liberté (Proper dance ou l’étrange Twin Peaks Baby). Débridé, bizarrement taillé mais fnalement attachant." Denis Zorgniotti

ok | wet @ voie de garage (fr)

Wet, 2e enregistrement studio pour ce trio atypique composé d’un guitariste chanteur et de deux batteurs. Parmi les deux batteurs, un nom connu, Piazza, Jérémie, qui n’est autre que le neveu de Roberto, alias Little Bob, avec qui il a joué au sein du groupe Little Bob et Little Bob Blues Bastards, le projet 100% Blues de Roberto. Les deux sont aussi des musiciens chevronnés, puisque Guillaume Magne a joué dans plusieurs formations dont L-Dopa, déjà chroniqué dans nos pages. Idem pour Sebastien brun, batteur et clavier de Hollywood mon amour, Linnake, Batlik…

Au sein de Ok, le trio s’amuse, expérimente, construit, déconstruit, triture, tricote… Partant d’une base folk rock épuré, il y intégre un dimension rock’n’roll, empruntant alors tout azimut, du coté de Chokebore, Sloy, Pavement, Sonic Youth, I love UFO, Neil Young, Band of Horses, White Stripes, Beck ou encore Liars, avec qui ils partagent un gout certain pour le psychédélisme...

A peine 5 titres sur ce CD, à peine assez pour se faire une idée definitive pour les orientations musicales du trio, mais suffisamment pour ressentir l’atmosphere électrique terriblement tendu dégagée par chaque titre et même le sens aigue de la mélodie dissimulée parfois sous les rythmes erratiques des deux batteries.

Une tres bonne note pour l’énergie dégagée et l’intensité grandissante titre apres titre, jusqu’à son sommet (To-know). Un tout petit bémol pour le manque d’originalité peut-être. Mais c’est un peu le cas pour chaque groupe aujourd’hui depuis une décennie au moins.

On va donc juste attendre l’arrivée d’un LP pour avoir un avis définitif sur la chose ! En attendant, je soupçonne qu’il serait de tres bon ton d’aller voir le groupe sur scène pour confirmer les bonnes ondes dégagées par Wet.

reviewSeb Brunfrance, ok, wet
ok | wet @ heavy mental (fr)

Personne ne pourra un jour affirmer que Carton records n’a jamais rien fait pour développer son catalogue au delà de toute une mouvance free jazz actuelle, fantastiquement moderne et toujours innovante – mouvance fortement appréciée par ici. Carton se contenterait de produire des formations aussi passionnantes et inventives que les Lunatic Toys et IRèNE que l’on y verrait aucun inconvénient et rien à redire mais, positivement, le label mené par Sebastien Brun a également choisi de farfouiller ailleurs et peut déjà s’enorgueillir d’avoir publié les disques de Gilles Poizat ou de OK. Le trio est justement de retour avec un second EP, toujours chez Carton records, et il s’intitule Wet.

Le premier EP sans titre d’OK avait d’abord créé la surprise avant de susciter l’adhésion. Wet ne change pas réellement la donne mais, si on peut dire, améliore encore la formule du groupe mené par Guillaume Magne (chant, guitare et compositions) soutenu par deux batteurs complémentaires. OK joue à la fois une musique très pop c'est-à-dire une musique directe, qui donne le sentiment d’être de maintenant et une musique aux atours expérimentaux qui ne l’empêchent jamais de tourner dans le bon sens. Par bon sens on entend celui décidé par ce chanteur/guitariste aux idées toujours piquantes. Ainsi les cinq compositions présentes sur Wet répondent toutes à deux critères – assez larges malgré tout – qui sont immédiateté et étrangeté. D’apparence tout est simple chez OK mais en même temps tout est bizarre. Rien n’est facile mais rien n’est insipide. Rien n’est bêtement primesautier et tout est généreusement exigeant. Et quand l’émotion s’en mêle (The Right Way et Your Third Strike), OK développe une idée de la beauté aussi intrigante que prenante.

Wet présente en outre l’avantage d’avoir été enregistré dans de meilleures conditions techniques que son prédécesseur bien plus lo-fi et la qualité de la production s’en ressent d’autant, largement plus dynamique et soulignée. Particulièrement on goûte davantage au travail de la guitare (avec un vrai beau son), aux manipulations de clavier effectuées par l’un des deux batteurs et au travail sur les voix. On savoure une fois de plus le talent d’écriture de Guillaume Magne, ses lignes de chant décalées et sa voix nasale, son éclectisme et après tout un groupe qui ose mettre une vache – le plus bel animal du monde soit dit en passant – en illustration de son disque est forcément une groupe qui attire l’attention.

reviewSeb Brunfrance, ok, wet
ok | wet @ fip (fr)

un groupe, OK, un ep, "wet", et 5 titres qui ne vous quittent plus après les avoir écoutés...

Seulement 5 titres cette fois ci, c'est vrai, mais il arrive que 5 chansons vraiment habitées vous emmènent bien plus loin qu'un album complaisant (et... il y en a quelques uns)...

OK est un trio, et un trio étonnant, puisque composé d'un guitariste-chanteur et de... 2 batteurs... si, si, 2 batteurs pour de vrai (même si sur WET Seb Brun & Jérémie Piazza, les 2 cogneurs tâtent aussi de la basse, du clavier ou de la cornemuse...).

Et donc, forcément, qui dit 2 batteurs, dit 2 batteries, l'une électrique, et l'autre... animale (c'est OK qui le dit)...

Cette rythmique touffue soutien à merveille la guitare de Guillaume Magne, qu'il s'agisse d'arpège déjantés ("Hollywood", "Your third Strike") ou de riffs tordu à la Sonic Youth ("To Know") ou très 90's ("Wet", ou la

ballade "The Right Way"), et la voix est totalement hypnotique, comme sur l'incantatoire "Your third Strike", trip shamanique électrique.

Les 5 chansons de ce WET nous font voyager du Folk à une pop lo-fi très sub pop 90, en passant par un rock garage franchement velu...

Le mélange des 2 batteries, électro et acoustique est une vraie trouvaille, les guitares sont brutes, et les arrangements pas trop chargés (même la cornemuse passe en souplesse, c'est dire), bref, OK a un son.

Un son et un univers dans lequel on ne demande qu'à rester, encore un peu plus longtemps... vivement l'album !!!

Régalez-vous...

reviewSeb Brunfrance, ok, wet
ok | wet @ benzine mag (fr)

A l’écoute d’OK, on vit une sensation double : d’un côté la certitude de tomber sur un trio maniant tous les arcanes de la bonne mélodie pop-rock ; de l’autre le sentiment tenace et troublant d’avoir une vision décalée de ce qui semble couler de source. Il faut dire que le trio comporte 2 batteurs, le troisième larron étant dévolu au chant et à la guitare. La rythmique chaotique parfois bruitiste serait-elle la seule raison de ce trouble ? Pas si sûr car si cette jdouble batterie donne la marque de fabrique du groupe, OK choisît d’autres voies d’arrangements parasites par rapport à l’évidence des mélodies. Comme ce son de cornemuse persistant sur l’ouverture de l’EP, un Wet à l’énergie par ailleurs revigorante. Comme ces structures hachées qui font passer sans transition de la pastoralité folk d’un Nick Drake à un rock concassé aux accents industriels (Hollywood, Your Third Strike). Même le plus classic rock To Know (Pearl Jam n’est pas loin) a ce je ne-sais quoi de folie pour devenir d’un coup hautement fréquentable. La voix même de Guillaume Magne, laissant poindre volontiers ses propres fêlures, participe à l’ambivalence du disque. Deuxième EP du trio et deuxième claque ; en 2012, le rock peut encore se montrer inventif. (4.0) Denis Zorgniotti

Carton records / Mars 2012

reviewSeb Brunfrance, ok, wet
ok | wet @ lylo (fr)

La voix nasillarde de hippie limite psyché folk, la guitare en bandoulière… sauf que derrière les deux batteries ne laissent pas de répit à l’inventivité de ce trio rock à rôles inversés : pop sauvage, émotions brutes et jeu hors piste.

reviewSeb Brunfrance, ok, wet
gilles poizat | micro​-​vertige et l'expérience du flottement @ l'oreille absolue

"Se construire et créer à sa façon"
Nouveau pensionnaire de l'excellent label Carton, GILLES POIZAT s'avance en éclaireur doucement allumé sur les terres d'un
songwriting anglo-français où le rêve peut se transformer en expérience, la recherche en poésie et la pensée en montée de
fèvre. Entretien avec un véritable maître alchimiste.
Gilles Poizat : J'ai commencé la musique tout gamin, en entrant au conservatoire à 6-7 ans et en y apprenant la trompette à
partir de 8 ans. Depuis, je n'ai jamais arrêté de jouer, même si, pendant longtemps, je n'en ai pas fait un métier… A l'âge
où j'étais au lycée, l'ambiance, dans la classe de trompette, était à la professionnalisation. Moi, j'étais un peu dans l'entredeux.
J'ai vaguement pensé à suivre cette voie, mais je ne bossais pas assez l'instrument pour passer les examens, je
n'avais pas non plus d'horaires aménagés au lycée. Je suis entré en fac de biologie, et comme ça m'a beaucoup plu j'ai pris
ce chemin. Mais je n'ai pas barré la musique de ma vie. C'est même après le conservatoire que j'ai commencé à monter des
groupes. J'ai ensuite passé de nombreuses années à me demander si je voulais continuer à être chercheur en biologie ou si
je voulais me consacrer à la seule musique. Je me suis longtemps posé la question de ma légitimité.
Une question que tu liais à tes compétences en tant que musicien ?
Non, plutôt à cette idée de faire de la musique un métier. Qu'est-ce que j'ai vraiment à faire sur scène ? C'est toute la
question de l'esprit et du rôle social de l'artiste. Pourquoi est-ce lui qui est sur scène et s'exprime devant les gens ? Qu'estce
qu'il a de si intéressant à dire pour qu'on l'écoute avec attention ? Bon, aujourd'hui, j'ai un peu dépassé ces
interrogations. Je me suis légèrement détendu…
Le fait de jouer dans des groupes, notamment depuis 2002 au sein du collectif Mazalda, où tu es par nature moins exposé
que dans une confguration solo, n'a pas atténué ces questionnements ?
Oui et non. J'ai par exemple longtemps joué avec une fanfare, Musicabrass, qui a été créée dans les années 80 et qui a été
assez novatrice dans le spectacle de rue, notamment en utilisant l'improvisation musicale et en jouant avec les situations,
les contextes, en apportant quelque chose d'absurde et de comique. J'aimais ça, ça m'attirait vraiment beaucoup. Mais
j'avais l'impression de ne pas être moi-même assez libéré pour pouvoir jouer comme ça avec les codes de la vie sociale.
Dans ma propre existence, je ne suis pas très à l'aise avec eux… Tout ça m'a donc amené à me poser des questions. Pour
moi, ces doutes rejoignent le fait que j'ai beaucoup de mal à écrire des paroles, surtout en français. Je me demande si j'ai
vraiment quelque chose à dire… Ce qui, aujourd'hui, me plaît dans mon projet solo, c'est qu'il m'a permis de trouver un
petit chemin pour me creuser une place. Une place qui n'est pas déterminée par d'autres musiciens, et qui se situe à une
échelle qui me correspond.
Cette question de la légitimité, tu ne penses pas qu'elle peut se poser dans tout corps de métier ?
Si, certainement. Elle se pose aussi dans la recherche, d'ailleurs… Mais la grande diférence, c'est qu'il y a dans ce milieu un
côté académique : tes diplômes ou ton poste t'octroient automatiquement une autorité, ou au moins une légitimité. Dans
la filière de la musique classique, je suppose que ça peut fonctionner de la même façon. Mais dans mon cas, et dans le
type de musique que je joue, il n'y a aucun de ces critères académiques. Et c'est ce qui, finalement, m'a attiré et m'a
amené, fin 2004, à lâcher la recherche et à devenir intermittent. A partir de là, c'était vraiment à moi de mener ma barque,
de vivre d'une activité qui ne dépendait que de moi, et pas de mes diplômes. J'ai suivi cette logique jusqu'au point de me
retrouver aujourd'hui à me produire sous mon nom avec un instrument, la guitare, dont je ne sais pas jouer de manière
orthodoxe.
Pour quelqu'un qui doute, tu ne crains quand même pas de te jeter à l'eau.
Oui, mais je mets du temps, quand même, hein… J'hésite pas mal sur le plongeoir…
En musique, je trouve important de ne pas forcer les choses. Il m'a fallu des années à jouer de la trompette dans des
contextes de groupe avant que je mette à l'écriture de chansons guitare-voix. Avec Micro-vertige et l'expérience du
fottement [en écoute ici dans Le Creux de L'Oreille], je me suis retrouvé en situation de débutant. La guitare, j'en jouais
depuis l'adolescence, mais dans ma chambre. Jamais je ne l'avais pratiquée dans un groupe ou devant les gens. Au départ,
cette histoire en solo était donc très fragile, et ça s'est d'ailleurs passé tout doucement. J'ai joué certaines de ces chansons
avec Mazalda, d'autres ne collaient pas avec le répertoire du groupe. Ensuite, on a essayé une formule en trio, avec batterie
et orgue. Mais comme je ne suis pas très assuré à la guitare, et que jouer avec d'autres me stressait un peu, j'ai finalement
eu envie de voir ce que ça donnerait tout seul.
Comment expliques-tu ce passage assez tardif au solo ?
Quand on apporte une chanson à un collectif, chacun fnit par se l'approprier – sauf si, d'entrée, on en a une idée vraiment
très claire. Ça peut être l'un des bons côtés du travail de groupe, mais à force, on perd un peu le fil, son fil. J'ai donc voulu
me rapprocher de la chanson, dans la solitude. C'était à la fois vraiment flippant et intrigant : j'étais très curieux de voir ce
que ça allait donner.
Tu n'avais donc pas de pistes ni de plans particuliers, tu ne savais pas trop où tu mettais les pieds ?
Musicalement, j'avais bien quelques idées. Mais encore une fois, tout s'est mis en place graduellement, ponctuellement. De
temps à autre, ici et là, des relations et copains m'ont proposé de me produire tout seul. Maintenant, une fois l'album
enregistré, avec tout le temps et toute l'énergie que j'y ai mis, j'ai envie qu'il soit un peu écouté. En matière de disques,
mes expériences précédentes, que ce soit avec Mazalda ou avec Greg Gilg [Gilles Poizat a participé en tant
qu'instrumentiste à l'enregistrement de l'album de ce dernier, 14:14] par exemple, ont toujours été un peu les mêmes : on
réalise un disque, mais comme il n'est pas distribué, qu'il n'y a pas de label ni de promo, il n'existe pas vraiment, il ne se
passe pas grand-chose, en dehors des ventes qu'on peut faire aux concerts. Je trouve ça dommage. On aboutit un projet,
et ça n'ouvre pas de portes, ça ne provoque pas de rencontres. Pour Micro-vertige…, c'est un peu diférent, puisque j'ai eu
cette proposition de Seb Brun, du label Carton. Ça m'a beaucoup plu, parce que, là aussi, il n'y a rien eu de forcé,
d'artifciel. J'ai d'abord rencontré Guillaume Magne [du groupe OK, également impliqué dans le label Carton] il y a quelques
années, via MySpace : chacun appréciait les chansons de l'autre, on s'est partagé des concerts à Paris, à Lyon et dans la
région… La connexion s'est tissée comme ça, naturellement, au fil du temps. Du coup, lorsqu'il m'a été proposé d'être sur
Carton, ça avait vraiment un sens. Le fait d'avoir sorti le disque sur un label a généré des chroniques sur internet : tout ça a
contribué à me donner un peu confance. Pour la première fois, j'ai démarché activement des lieux, recherché des dates.
C'est quelque chose je n'avais jamais fait auparavant. Aujourd'hui, même si je suis toujours bien occupé par Mazalda, et
par d'autres groupes dans lesquels je joue, c'est le solo qui m'occupe le plus l'esprit.
As-tu l'impression d'être un musicien différent depuis que tu t'es lancé dans la composition et le jeu en solo ?
Je n'ai pas changé fondamentalement, j'ai simplement le sentiment d'avoir avancé. Là où je me suis un peu découvert, c'est
dans le fait d'oser être là, seul, face à un public. Ce qui est particulier, notamment parce que je n'utilise pas de boucles ou
de choses comme ça, c'est que ça peut s'arrêter à chaque instant. C'est très diférent de mes expériences en tant que
trompettiste dans des groupes : là, si je m'arrête, la musique peut continuer sans moi. En solo, tout ne dépend que de moi.
Je peux foirer un passage, ou choisir de suspendre mon geste, d'amener un moment de silence que je laisse vivre… Autant
de choses que je découvre et avec lesquelles j'aime bien jouer.
Tu dis "foirer un passage" avec un grand sourire, comme si ce n'était pas du tout un drame.
Au début, j'avais vraiment du mal à me concentrer sur la durée d'un concert et je me trompais souvent d'accord. Là dessus,
j'ai avancé. Aujourd'hui, si je me plante, je ne le cache pas et je reprends : ça passe. Le problème, quand tu te
trompes à répétition, c'est que ça te met vite dans la peau du musicien vulnérable, maladroit. Et ça, au bout d'un moment,
je trouve que ça casse quelque chose. Il y a des gens, aujourd'hui, qui me disent : "Ah, on aimait bien quand, au début, tu
n'arrêtais pas de te planter, c'était vraiment fragile !" Oui, c'était peut-être marrant, mais moi j'ai envie de quelque chose
de plus solide. La fragilité, je l'aime à travers l'idée que ça peut s'arrêter à chaque instant. Pas à travers le fait que je
connaisse mal mes morceaux ou que j'aie du mal à rester concentré : ça, ça n'est pas très intéressant, je ne vois pas ce que
ça apporte…
D'autant que, sur disque, tes chansons ne reposent pas du tout sur cette idée de fragilité. Elles expriment même un certain
souci de précision, et véhiculent une dynamique, la volonté d'aller d'un point A à un point B.
C'est en tout cas ce que j'essaie de réaliser.
En dépit du format qui s'y rattache et du nombre limité d'outils que tu t'es donné (guitare, voix, trompette), tes chansons
balaient un spectre expressif assez large : il y a des moments où la matière sonore est dense, d'autres au contraire où elle
est plus diluée et épurée, des passages où elle est chaotique et d'autres où elle est plus stable.
J'aimerais bien que ce travail sur la matière transparaisse, oui. Je voudrais d'ailleurs aller encore plus loin dans cette
direction, en créant des ambiances sonores assez larges. Mais ça, aussi, ça demande une certaine forme d'assurance, des
choix assumés. Sur scène, j'utilise des pédales d'efets qui me permettent d'enfler et de suspendre le son. J'aime bien, par
exemple, régler les delays à la limite de l'emballement du feedback : certaines notes enflent sans qu'on sache trop si ça va
aller vers un larsen ou si ça va tenir. Oser laisser la musique se développer, jouer avec ce qu'elle a de mouvant et de limite,
tenir une durée, ne pas aller tout de suite vers ce qui est accrocheur, faire entrer les gens dans cette expérience-là : ce
sont des choix qui me plaisent et que j'aime prendre. Mais il m'arrive de douter, de me dire que je me trompe de propos,
que les gens vont être perdus. J'ai encore beaucoup de choses à explorer dans ce domaine.
Cette variété dans les approches rappelle qu'en tant que musicien, tu es d'une grande souplesse, d'une grande capacité
d'adaptation : dans les expériences de groupe, tu as toujours eu cette faculté de passer d'un univers à un autre.
Il y a plein de façons de faire et d'écouter de la musique, que j'aime de la même façon. Que ce soit de la musique
improvisée, plus basée sur le son, ou de la chanson plus pop, que ce soit de la musique ancienne ou des expressions plus
modernes : j'aime côtoyer toutes ces réalités et ces pratiques-là. Dans Mazalda, on est dans un fonctionnement purement
oral, on s'apprend les morceaux entre nous, qu'il s'agisse de reprises de musiques populaires de tous les pays ou de
compositions originales : chacun trouve plus ou moins son arrangement, le processus est collectif. Parallèlement, je joue
aussi dans un orchestre de neuf musiciens qui s'appelle Le Grand Bal des Cousins : là, tout est écrit à la note près, tout est
centralisé par le directeur de l'ensemble, Etienne Roche. Cette expérience-là, qui consiste à déchifrer et à découvrir
comment l'arrangement sonne avec les autres, est donc complètement différente. Mais j'aime tout autant ces deux
approches. J'aime aussi, dans l'improvisation libre, l'état et l'écoute qu'exige cette façon de tourner autour de la matière
sonore, qu'on soit musicien ou auditeur. Il faut faire un peu de vide en soi, laisser de la place… Alors que d'autres formes
plus accrocheuses, plus séduisantes d'entrée, ne demanderont pas cette démarche ; et ça fait du bien aussi.
Dans les chroniques qui ont été écrites au sujet de ton disque, reviennent de manière récurrente des fliations avec toute
une nébuleuse de songwriters anglais composée d'individualités comme Syd Barrett, Robert Wyatt ou Kevin Ayers.
Trouves-tu ça fatteur, surprenant, un brin paresseux ?
Je ne me suis pas dit que j'allais écrire "à la manière de", mais c'est évidemment fatteur : ce sont des gens que j'ai pas mal
écoutés et que j'aime, en particulier Barrett et Wyatt. Derrière eux, je vois d'autres infuences communes entrer en jeu :
chez Barrett, par exemple, j'entends aussi de la musique ancienne, qu'il a réinjectée dans des atmosphères plus planantes
– mélange auquel je suis moi-même très sensible.
Ce qui, dans l'esprit, peut te rapprocher d'un Robert Wyatt, c'est cette façon de refuser la banalité, dans l'harmonie comme
dans la conduite et la construction des chansons, sans tomber non plus dans le piège de la complexité à foison. Dans ce
jeu-là, la guitare a-t-elle été une précieuse alliée ?
Je ne suis pas du tout un bon joueur de clavier, mais quand je me retrouve devant les touches, j'adore plaquer un accord et
imaginer ceux que je pourrais enchaîner derrière. Les chemins d'accord, c'est vraiment quelque chose qui me plaît. Et pour
ça, la guitare permet efectivement d'en tracer, même s'il y a des contraintes au niveau du doigté… Chez Wyatt, j'aime
beaucoup ce rapport à l'harmonie, oui. Et son phrasé, aussi, son accent anglais qui, comme Syd Barrett, a sans doute
infuencé le mien. Après, pour sortir du domaine strictement anglais, quelqu'un comme Arto Lindsay m'a également
beaucoup marqué. J'aime chez lui ce mélange de questionnements sur soi et d'expressions par moments complètement
lâchées, ce mélange de doute et d'assurance. Je suis aussi allé voir Leonard Cohen lors de sa dernière tournée. Et j'ai été
frappé par l'image de cet homme qui a vraiment décidé de faire de la chanson à sa façon, sans se la jouer showman. C'est
très inspirant, ça. Personnellement, je ne me suis jamais senti de faire du divertissement, de jouer un rôle. Ce ne serait pas
moi. Ça deviendrait un job, un truc préfabriqué, sans intérêt. Avec Mazalda, nous nous sommes aussi vraiment construits
dans cette idée-là. On nous a souvent reproché, d'ailleurs, de ne pas parler sur scène, de ne pas être expansifs, etc. Mais
peu importe. Rencontrer ces gens-là m'a conforté dans l'idée qu'il fallait se construire et créer les choses à sa façon.
Pour en fnir avec Wyatt et toi : il y a entre vous un goût commun pour une certaine forme d'absurde, ou de fantaisie.
Ça, c'est quelque chose que je ne contrôle vraiment pas. J'ai même du mal à en jouer facilement. Je crois que ça vient du
fait que je n'ai pas un goût tellement prononcé de l'écriture et de la langue, comme peuvent l'avoir par exemple des gens
comme Bertrand Belin, ou encore Sing Sing et Eloise Decazes [de Arlt], que j'ai rencontrés en participant à l'enregistrement
de l'album de Greg Gilg. Leur approche m'attire beaucoup, mais je n'arrive pas du tout à avoir la même, ou alors très
difficilement. Est-ce que c'est parce que je n'ai vraiment pas grand-chose à dire, ou parce que j'ai vraiment trop
d'autocensure ? Il y a sans doute un peu des deux. C'est peut-être pour ça, aussi, que j'utilise majoritairement l'anglais : il
m'ouvre un terrain plus neutre, plus libre, où je me bride moins. J'aimerais écrire davantage en français, parce que je
trouve parfois bizarre de chanter en anglais devant un public français : je tends vers un maximum de simplicité, et à mes
yeux le choix de l'anglais ressemble par moments à un artifice, une façon de noyer le poisson. Mais j'ai encore trop de
blocages avec notre langue. Peut-être que je ne prends pas assez de temps, peut-être qu'il faudrait que je fasse des jeux
d'écriture, pour me libérer.
Chez toi, l'écriture n'est donc pas une pratique naturelle ?
Non. J'ai essayé, mais j'ai toujours trouvé ça lourd… Ça m'attire beaucoup, mais je voudrais atteindre une forme de légèreté
et d'ouverture qui m'échappe le plus souvent. Dans mon cas, les textes en français ont tendance à prendre beaucoup de
place et à tout écraser. Il est aussi plus dur d'être dans le son, dans la musique des syllabes : le sens prend vite le dessus,
chaque mot est chargé de sous-entendus… Dans mon cas, l'anglais m'amène donc à une forme de naïveté qui m'allège.
Tu évoquais tout à l'heure ta légitimité de musicien. Dans Micro-vertige et l'expérience du fottement, la question de la
place qu'on occupe, qu'on doit se trouver, à une petite comme à une grande échelle, dans l'environnement humain le plus
proche comme dans le vaste monde, se pose dès Proper Dance, le premier titre. C'est un thème qui court au long de
l'album.
J'ai écrit coup par coup, je n'avais pas de schéma prédéfni. Mais je me suis rendu compte a posteriori que l'album parlait
pas mal de ça, oui.
Tes anciennes activités dans la recherche ont-elles nourri ton écriture ? Avant même de savoir que tu étais chercheur, je
trouvais que tes textes, qui n'empruntent pas les registres du récit ou de la confidence, étaient construits comme de
petites études, des observations.
Je m'en suis aussi aperçu à travers les thèmes des chansons. Certaines d'entre elles ont même été carrément inspirées par
ces activités. Parasite, par exemple, est née d'une conférence qu'un collègue de labo avait donnée sur un parasite qui
change le comportement de ses hôtes – en l'occurrence des crevettes – pour favoriser sa reproduction. Une fois parasitées,
les crevettes, au lieu de se planquer au fond de l'eau, tournent à la surface : du coup, les oiseaux les bouffent
préférentiellement. Or, ces parasites ont besoin de passer par un tube digestif d'oiseau pour accomplir leur cycle de
reproduction… Dans ce cas-là, l'inspiration, transposée sous une autre forme, découle donc directement de ce qu'était
mon métier de chercheur. Moment de force s'appuie aussi sur les notions de systèmes mécaniques et de forces pour
illustrer la prise de décision et les hésitations qui peuvent l'entourer. Il y a aussi une chanson sur les statistiques… Je dois
dire que ça m'a fait plaisir de pouvoir tracer des liens entre ces thèmes-là et la musique. Des sujets comme l'évolution
continuent de m'intéresser vraiment, je lis encore des choses à ce propos ; ça reste présent dans mon esprit.
Du coup, on ressent aussi dans tes chansons cet écho et cet impact intimes que l'étude du vivant peut avoir dans le corps
comme dans l'esprit du chercheur.
C'est évident. Par exemple, j'ai longtemps travaillé sur les stratégies de reproduction de l'épinoche, un petit poisson. Par la
théorie de l'évolution, tu es amené à des schémas, des façons de voir les choses, des compromis. La grande question,
c'est : est-ce qu'on met toute notre énergie dans la reproduction, d'un coup, au détriment de notre survie, ou est-ce qu'on
ménage notre survie en étalant dans le temps l'énergie qu'on place dans la reproduction ? A travers ces expérimentations
et ces théories, il y a aussi une certaine satisfaction à essayer de simplifer des choses qui sont complexes. Et ça crée
forcément une résonance par rapport à nos propres modes de vie, notre propre manière de nous reproduire, ou pas. Ce
n'est pas du tout cloisonné… A ce propos, aussi, l'utilisation de l'anglais renvoie d'une certaine façon à mon passé de
chercheur : la plupart des articles que je lisais, ou que j'ai pu écrire, étaient dans cette langue. J'ai donc un rapport
particulier à l'anglais – renforcé par le fait que j'ai vécu un an aux Etats-Unis quand j'étais petit, en allant à l'école
américaine. J'ai un vrai goût, ancré et ancien, pour cette langue, qui s'est aussi exprimé par les musiques que j'ai pu
écouter par la suite. En plus, l'anglais scientifique est assez simple : dans une discipline ou un sujet donnés, il n'y a pas dix
mille mots de vocabulaire. Je crois que ça transparaît dans mon disque. Ma manière d'écrire des phrases vient aussi de
mon expérience et de ma pratique de l'anglais dans le cadre de la recherche.
Sais-tu vers quoi ouvre la suite de tes aventures en solo ? Ou est-il trop tôt pour distinguer une direction, un horizon ?
J'ai plusieurs nouveaux morceaux en chantier, mais je n'ai pas de paroles, justement… Ce n'est pas une partie du travail
que je contrôle. Je ne peux pas me dire : cet après-midi, je vais avancer sur tel texte. Tout ce que je sais, c'est que j'ai cette
envie de poursuivre cette expérience, de prolonger le fil.

ok | wet @ sosolesbonstuyaux (fr)

Autre son à écouter sans modération : OK Wet. ça ressemble à Gorillaz mais c’est pas ça. On se pose sur un canap. La fenêtre entrouverte et on écoute Hollywood en boucle. Road trip version musique. Cheveux au vent on ferme les yeux et on a embarqué avec eux. Allez écoutez vous allez aimer…

reviewSeb Brunfrance, ok, wet